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LE LYS DE LA VALLÉE.

— Jacques va mieux, il dort, mon ami, dit la voix d’or. Madame de Mortsauf se montra soudain au bout de l’allée, elle arriva sans fiel, sans amertume, et me rendit mon salut. Je vois avec plaisir, me dit-elle, que vous aimez Clochegourde.

— Voulez-vous, ma chère, que je monte à cheval et que j’aille chercher monsieur Deslandes ? lui dit-il en témoignant le désir de se faire pardonner son injustice.

— Ne vous tourmentez point, dit-elle, Jacques n’a pas dormi cette nuit, voilà tout. Cet enfant est très-nerveux, il a fait un vilain rêve, et j’ai passé tout le temps à lui conter des histoires pour le rendormir. Sa toux est purement nerveuse, je l’ai calmée avec une pastille de gomme, et le sommeil l’a gagné.

— Pauvre femme ! dit-il en lui prenant la main dans les siennes et lui jetant un regard mouillé, je n’en savais rien.

— À quoi bon vous inquiéter pour des riens ? allez à vos seigles. Vous savez ! Si vous n’êtes pas là, les métayers laisseront les glaneuses étrangères au bourg entrer dans le champ avant que les gerbes n’en soient enlevées.

— Je vais faire mon premier cours d’agriculture, madame, lui dis-je.

— Vous êtes à bonne école, répondit-elle en montrant le comte de qui la bouche se contracta pour exprimer ce sourire de contentement que l’on nomme familièrement faire la bouche en cœur.

Deux mois après seulement, je sus qu’elle avait passé cette nuit en d’horrible anxiétés, elle avait craint que son fils n’eût le croup. Et moi, j’étais dans ce bateau, mollement bercé par des pensées d’amour, imaginant que de sa fenêtre, elle me verrait adorant la lueur de cette bougie qui éclairait alors son front labouré par de mortelles alarmes. Le croup régnait à Tours, et y faisait d’affreux ravages. Quand nous fûmes à la porte, le comte me dit d’une voix émue : — Madame de Mortsauf est un ange ! Ce mot me fit chanceler. Je ne connaissais encore que superficiellement cette famille, et le remords si naturel dont est saisie une âme jeune en pareille occasion, me cria : « De quel droit troublerais-tu cette paix profonde ? »

Heureux de rencontrer pour auditeur un jeune homme sur lequel il pouvait remporter de faciles triomphes, le comte me parla de l’avenir que le retour des Bourbons préparait à la France.