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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Si l’étude vous a rendu malade, dit-elle, l’air de notre vallée vous remettra.

— L’éducation moderne est fatale aux enfants, reprit le comte. Nous les bourrons de mathématiques, nous les tuons à coups de science, et les usons avant le temps. Il faut vous reposer ici, me dit-il, vous êtes écrasé sous l’avalanche d’idées qui a roulé sur vous. Quel siècle nous prépare cet enseignement mis à la portée de tous, si l’on ne prévient le mal en rendant l’instruction publique aux corporations religieuses !

Ces paroles annonçaient bien le mot qu’il dit un jour aux élections en refusant sa voix à un homme dont les talents pouvaient servir la cause royaliste : — Je me défierai toujours des gens d’esprit, répondit-il à l’entremetteur des voix électorales. Il nous proposa de faire le tour de ses jardins, et se leva.

— Monsieur… lui dit la comtesse.

— Eh ! bien, ma chère ?… répondit-il en se retournant avec une brusquerie hautaine qui dénotait combien il voulait être absolu chez lui, mais combien alors il l’était peu.

— Monsieur est venu de Tours à pied, monsieur de Chessel n’en savait rien, et l’a promené dans Frapesle.

— Vous avez fait une imprudence, me dit-il, quoique à votre âge !… Et il hocha la tête en signe de regret.

La conversation fut reprise. Je ne tardai à reconnaître combien son royalisme était intraitable, et de combien de ménagements il fallait user pour demeurer sans choc dans ses eaux. Le domestique, qui avait promptement mis une livrée, annonça le dîner. Monsieur de Chessel présenta son bras à madame de Mortsauf, et le comte saisit gaiement le mien pour passer dans la salle à manger, qui, dans l’ordonnance du rez-de-chaussée, formait le pendant du salon.

Carrelée en carreaux blancs fabriqués en Touraine, et boisée à hauteur d’appui, la salle à manger était tendue d’un papier verni qui figurait de grands panneaux encadrés de fleurs et de fruits ; les fenêtres avaient des rideaux de percale ornés de galons rouges ; les buffets étaient de vieux meubles de Boulle, et le bois des chaises, garnies en tapisserie faite à la main, était de chêne sculpté. Abondamment servie, la table n’offrit rien de luxueux : de l’argenterie de famille sans unité de forme, de la porcelaine de Saxe qui n’était pas encore redevenue à la mode, des carafes octogones, des couteaux