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LE LYS DE LA VALLÉE.

tique, sont nées là, comme les parfums émanent des fleurs ; mais là verdoyait la plante inconnue qui jeta sur mon âme sa féconde poussière, là brillait la chaleur solaire qui développa mes bonnes et dessécha mes mauvaises qualités. De la fenêtre, l’œil embrassait la vallée depuis la colline où s’étale Pont-de-Ruan, jusqu’au château d’Azay, en suivant les sinuosités de la côte opposée que varient les tours de Frapesle, puis l’église, le bourg et le vieux manoir de Saché dont les masses dominent la prairie. En harmonie avec cette vie reposée et sans autres émotions que celles données par la famille, ces lieux communiquaient à l’âme leur sérénité. Si je l’avais rencontrée là pour la première fois, entre le comte et ses deux enfants, au lieu de la trouver splendide dans sa robe de bal, je ne lui aurais pas ravi ce délirant baiser dont j’eus alors des remords en croyant qu’il détruirait l’avenir de mon amour ! Non, dans les noires dispositions où me mettait le malheur, j’aurais plié le genou, j’aurais baisé ses brodequins, j’y aurais laissé quelques larmes, et je serais allé me jeter dans l’Indre. Mais après avoir effleuré le frais jasmin de sa peau et bu le lait de cette coupe pleine d’amour, j’avais dans l’âme le goût et l’espérance de voluptés surhumaines ; je voulais vivre et attendre l’heure du plaisir comme le sauvage épie l’heure de la vengeance, je voulais me suspendre aux arbres, ramper dans les vignes, me tapir dans l’Indre ; je voulais avoir pour complice le silence de la nuit, la lassitude de la vie, la chaleur du soleil afin d’achever la pomme délicieuse où j’avais déjà mordu. M’eût-elle demandé la fleur qui chante ou les richesses enfouies par les compagnons de Morgan l’exterminateur, je les lui aurais apportées afin d’obtenir les richesses certaines et la fleur muette que je souhaitais ! Quand cessa le rêve où m’avait plongé la longue contemplation de mon idole, et pendant lequel un domestique vint et lui parla, je l’entendis causant du comte. Je pensai seulement alors qu’une femme devait appartenir à son mari. Cette pensée me donna des vertiges. Puis j’eus une rageuse et sombre curiosité de voir le possesseur de ce trésor. Deux sentiments me dominèrent, la haine et la peur ; une haine qui ne connaissait aucun obstacle et les mesurait tous sans les craindre ; une peur vague, mais réelle du combat, de son issue, et d’ELLE surtout. En proie à d’indicibles pressentiments, je redoutais ces poignées de main qui déshonorent, j’entrevoyais déjà ces difficultés élastiques où se heurtent les plus rudes volontés et où elles s’émoussent ; je craignais