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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

cessa, la nuit vint. Par hasard, ma mère s’aperçut de mon absence. Pour éviter un reproche, notre gouvernante, une terrible mademoiselle Caroline légitima les fausses appréhensions de ma mère en prétendant que j’avais la maison en horreur ; que si elle n’eût pas attentivement veillé sur moi, je me serais enfui déjà ; je n’étais pas imbécile, mais sournois ; parmi tous les enfants commis à ses soins, elle n’en avait jamais rencontré dont les dispositions fussent aussi mauvaises que les miennes. Elle feignit de me chercher et m’appela, je répondis ; elle vint au figuier où elle savait que j’étais. — Que faisiez-vous donc là ? me dit-elle. — Je regardais une étoile. — Vous ne regardiez pas une étoile, dit ma mère qui nous écoutait du haut de son balcon, connaît-on l’astronomie à votre âge ? — Ah ! madame, s’écria mademoiselle Caroline, il a lâché le robinet du réservoir, le jardin est inondé. Ce fut une rumeur générale. Mes sœurs s’étaient amusées à tourner ce robinet pour voir couler l’eau ; mais, surprises par l’écartement d’une gerbe qui les avait arrosées de toutes parts, elles avaient perdu la tête et s’étaient enfuies sans avoir pu fermer le robinet. Atteint et convaincu d’avoir imaginé cette espièglerie, accusé de mensonge quand j’affirmais mon innocence, je fus sévèrement puni. Mais châtiment horrible ! je fus persiflé sur mon amour pour les étoiles, et ma mère me défendit de rester au jardin le soir. Les défenses tyranniques aiguisent encore plus une passion chez les enfants que chez les hommes ; les enfants ont sur eux l’avantage de ne penser qu’à la chose défendue, qui leur offre alors des attraits irrésistibles. J’eus donc souvent le fouet pour mon étoile. Ne pouvant me confier à personne, je lui disais mes chagrins dans ce délicieux ramage intérieur par lequel un enfant bégaie ses premières idées, comme naguère il a bégayé ses premières paroles. A l’âge de douze ans, au collège, je la contemplais encore en éprouvant d’indicibles délices, tant les impressions reçues au matin de la vie laissent de profondes traces au cœur.

De cinq ans plus âgé que moi, Charles fut aussi bel enfant qu’il est bel homme, il était le privilégié de mon père, l’amour de ma mère, l’espoir de ma famille, partant le roi de la maison. Bien fait et robuste, il avait un précepteur. Moi, chétif et malingre, à cinq ans je fus envoyé comme externe dans une pension de la ville, conduit le matin et ramené le soir par le valet de chambre de mon père. Je partais en emportant un panier peu fourni, tandis que mes ca-