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faite pour être l’amour d’un grand seigneur. Je te crois tant d’esprit, que le tour que tu me joues là ne me surprend pas du tout, je l’attendais. Pour une fille, mais c’est jeter le fourreau de son épée. Pour agir ainsi, mon ange, il faut des idées supérieures. Aussi as-tu mon estime !

Et il lui donna sur la joue la confirmation à la manière des évêques.

— Mais, monsieur le chevalier, je vous assure que vous vous trompez, et que…

Elle rougit sans oser continuer, le chevalier avait, par un seul regard, deviné, pénétré tout son plan.

— Oui, je t’entends, tu veux que je te croie ! Eh ! bien, je te crois. Mais suis mon conseil, va chez monsieur du Bousquier. Ne portes-tu pas le linge chez monsieur du Bousquier depuis cinq à six mois ? Eh ! bien, je ne te demande pas ce qui se passe entre vous ; mais je le connais, il a de l’amour-propre, il est vieux garçon, il est très-riche, il a deux mille cinq cents livres de rente et n’en dépense pas huit cents. Si tu es aussi spirituelle que je le suppose, tu verras Paris à ses frais. Va, ma petite biche, va l’entortiller ; surtout sois déliée comme une soie, et à chaque parole, fais un double tour et un nœud ; il est homme à redouter le scandale, et s’il t’a donné lieu de le mettre sur la sellette… enfin, tu comprends, menace-le de t’adresser aux dames du bureau de charité. D’ailleurs il est ambitieux. Eh ! bien, un homme doit arriver à tout par sa femme. N’es-tu donc pas assez belle, assez spirituelle pour faire la fortune de ton mari ? Hé ! malepeste, tu peux rompre en visière à une femme de la cour.

Suzanne, illuminée par les derniers mots du chevalier, grillait d’envie de courir chez du Bousquier. Pour ne pas sortir trop brusquement, elle questionna le chevalier sur Paris, en l’aidant à s’habiller. Le chevalier devina l’effet de ses instructions, et favorisa la sortie de Suzanne en la priant de dire à Césarine de lui monter le chocolat que lui faisait madame Lardot tous les matins. Suzanne s’esquiva pour se rendre chez sa victime, dont voici la biographie.

Issu d’une vieille famille d’Alençon, du Bousquier tenait le milieu entre le bourgeois et le hobereau. Son père avait exercé les fonctions judiciaires de Lieutenant-Criminel. Se trouvant sans ressources après la mort de son père, du Bousquier comme tous les gens ruinés de la province, était allé chercher fortune à