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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Monsieur, s’écria Chesnel qui vit le danger, l’Instruction peut être conduite pour ou contre nous ; mais vous choisirez ou de constater, d’après la déposition de madame du Croisier, la remise des valeurs antérieurement à l’effet, ou d’interroger un pauvre jeune homme inculpé qui, dans son trouble, peut ne se souvenir de rien et se compromettre. Vous chercherez le plus croyable ou de l’oubli d’une femme ignorante en affaires, ou d’un faux commis par un d’Esgrignon.

— Il ne s’agit pas de tout cela, reprit le juge, il s’agit de savoir si monsieur le comte d’Esgrignon a converti le bas d’une lettre que lui adressait du Croisier en une lettre de change.

— Eh ! il le pouvait, s’écria tout à coup madame Camusot qui entra vivement, suivie du bel inconnu. Monsieur Chesnel avait remis les fonds… Elle se pencha vers son mari. — Tu seras juge-suppléant à Paris à la première vacance, tu sers le Roi lui-même dans cette affaire, j’en ai la certitude, on ne t’oubliera pas, lui dit-elle à l’oreille. Tu vois dans ce jeune homme la duchesse de Maufrigneuse, tâche de ne jamais dire que tu l’as vue, et fais tout pour le jeune comte, hardiment.

— Messieurs, dit le juge, quand l’Instruction serait conduite dans le sens favorable à l’innocence du jeune comte, puis-je répondre du jugement à intervenir ? Monsieur Chesnel et toi, ma bonne, vous connaissez les dispositions de monsieur le Président.

— Ta, ta, ta, dit madame Camusot, va voir toi-même ce matin monsieur Michu, et apprends-lui l’arrestation du jeune comte, vous serez déjà deux contre deux, j’en réponds. Michu est de Paris, lui ! et tu connais son dévouement pour la noblesse. Bon chien chasse de race.

En ce moment, mademoiselle Cadot fit entendre sa voix à la porte, en disant qu’elle apportait une lettre pressée. Le juge sortit et rentra, en lisant ces mots :

Monsieur le vice-président du Tribunal prie monsieur Camusot de siéger à l’audience de ce jour et des jours suivants, pour que le Tribunal soit au complet pendant l’absence de monsieur le Président. Il lui fait ses compliments.

— Plus d’instruction de l’affaire d’Esgrignon, s’écria madame Camusot. Ne te l’avais-je pas dit, mon ami, qu’ils te joueraient quelque mauvais tour ? Le Président est allé te calomnier auprès du