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LES RIVALITÉS: LE CABINET DES ANTIQUES.

afin de mettre en jeu les hautes puissances par la main de madame de Maufrigneuse.

Tels étaient les raisonnements du pauvre vieil athlète qui voyait juste, et qui se coucha quasi-mort sous le poids de tant d’émotions et de tant de fatigues. Néanmoins, avant de s’endormir, il jeta sur les magistrats qui composaient le Tribunal, un coup d’œil scrutateur qui embrassait les pensées secrètes de leurs ambitions, afin de voir quelles étaient ses chances dans cette lutte, et comment ils pouvaient être influencés. En donnant une forme succincte au long examen des consciences que fit Chesnel, il fournira peut-être un tableau de la magistrature en province.

Les juges et les gens du Roi forcés de commencer leur carrière en province où s’agitent les ambitions judiciaires, voient tous Paris à leur début, tous aspirent à briller sur ce vaste théâtre où s’élèvent les grandes causes politiques, où la magistrature est liée aux intérêts palpitants de la société. Mais ce paradis des gens de justice admet peu d’élus, et les neuf dixièmes des magistrats doivent, tôt ou tard, se caser pour toujours en province. Ainsi tout Tribunal, toute Cour royale de province offrent deux partis bien tranchés, celui des ambitions lassées d’espérer, contentes de l’excessive considération accordée en province au rôle qu’y jouent les magistrats, ou endormies par une vie tranquille ; puis celui des jeunes gens et des vrais talents auxquels l’envie de parvenir que nulle déception n’a tempérée, ou que la soif de parvenir aiguillonne sans cesse, donne une sorte de fanatisme pour leur sacerdoce. À cette époque, le royalisme animait les jeunes magistrats contre les ennemis des Bourbons. Le moindre Substitut rêvait réquisitoires, appelait de tous ses vœux un de ces procès politiques qui menaient le zèle en relief, attiraient l’attention du Ministère et faisaient avancer les gens du Roi. Qui, parmi les Parquets, ne jalousait la Cour dans le ressort de laquelle éclatait une conspiration bonapartiste ? Qui ne souhaitait trouver un Caron, un Berton, une levée de boucliers ? Ces ardentes ambitions, stimulées par la grande lutte des partis, appuyées sur la raison d’État et sur la nécessité de monarchiser la France, étaient lucides, prévoyantes, perspicaces ; elles faisaient avec rigueur la police, espionnaient les populations et les poussaient dans la voie de l’obéissance d’où elles ne doivent pas sortir. La Justice alors fanatisée par la foi monarchique réparait les torts des anciens Parlements, et marchait d’accord avec la Religion,