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LES RIVALITÉS: LE CABINET DES ANTIQUES.

— Je pardonne comme Dieu pardonne, madame, à des conditions.

— Quelles sont-elles ? dit Chesnel qui crut apercevoir un rayon d’espérance.

— Les Élections vont venir, je veux les voix dont vous disposez.

— Vous les aurez, dit Chesnel.

— Je veux, reprit du Croisier, être reçu, ma femme et moi, familièrement, tous les soirs, avec amitié, en apparence du moins, par monsieur le marquis d’Esgrignon et par les siens.

— Je ne sais pas comment nous l’y amènerons, mais vous serez reçu.

— Je veux une hypothèque de quatre cent mille francs fondée sur une transaction écrite au sujet de cette affaire, afin de toujours vous tenir un canon chargé sur le cœur.

— Nous consentons, dit Chesnel sans avouer encore qu’il avait les cent mille écus sur lui ; mais elle sera entre mains tierces et rendue à la famille après votre élection et le payement.

— Non, mais après le mariage de ma petite-nièce, mademoiselle Duval qui réunira peut-être un jour quatre millions. Cette jeune personne sera instituée mon héritière au contrat et celle de ma femme, vous la ferez épouser à votre jeune comte.

— Jamais ! dit Chesnel.

— Jamais, reprit du Croisier tout enivré de son triomphe. Bonsoir.

— Imbécile que je suis, se dit Chesnel, pourquoi reculé-je devant un mensonge avec un pareil homme !

Du Croisier s’en alla, se plaisant à tout annuler au nom de son orgueil froissé, après avoir joui de l’humiliation de Chesnel, avoir balancé les destinées de la superbe maison en qui se résumait l’aristocratie de la province, et imprimé la marque de son pied sur les entrailles des d’Esgrignon. Il remonta dans sa chambre, en laissant sa femme avec Chesnel. Dans son ivresse il ne voyait rien contre sa victoire, il croyait fermement que les cent mille écus étaient dissipés ; pour les trouver, la maison d’Esgrignon avait besoin de vendre ou d’hypothéquer ses biens ; à ses yeux, la Cour d’Assises était donc inévitable. Les affaires de faux sont toujours arrangeables, quand la somme surprise est restituée. Les victimes de ce crime sont ordinairement des gens riches qui ne se soucient pas d’être la cause du déshonneur d’un homme imprudent. Mais