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LES RIVALITÉS: LE CABINET DES ANTIQUES.

— Vous êtes un ange, madame, dit-il. (Elle devait être un ange pour tout le monde !) Mais ce ne sera pas tout, reprit le notaire, je compte sur votre appui pour nous sauver.

— Vous sauver ! j’y réussirai ou je périrai. Il faut bien aimer pour ne pas reculer devant un crime. Pour quelle femme a-t-on fait pareille chose ? Pauvre enfant ! Allez, ne perdez pas de temps, cher monsieur Chesnel. Comptez sur moi comme sur vous-même.

— Madame la duchesse, madame la duchesse !

Le vieux notaire ne put rien dire que ces mots, tant il était saisi ! Il pleurait, il lui prit envie de danser, mais il eut peur de devenir fou, il se contint.

— À nous deux, nous le sauverons, dit-il en s’en allant.

Chesnel alla voir aussitôt Joséphin qui lui ouvrit le secrétaire et la table où étaient les papiers du jeune comte, il y trouva très-heureusement quelques lettres de du Croisier et des Keller qui pouvaient devenir utiles. Puis, il prit une place dans une diligence qui partait immédiatement. Il paya les postillons de manière à faire aller la lourde voiture aussi vite que la malle, car il rencontra deux voyageurs aussi pressés que lui, et qui s’accordèrent pour faire leurs repas en voiture. La route fut comme dévorée. Le notaire rentra rue du Bercail, après trois jours d’absence. Quoiqu’il fût onze heures avant minuit, il était trop tard. Chesnel aperçut des gendarmes à sa porte, et quand il en atteignit le seuil, il vit dans sa cour le jeune comte arrêté. Certes, s’il en avait eu le pouvoir, il aurait tué tous les gens de justice et les soldats, mais il ne put que se jeter au cou de Victurnien.

— Si je ne réussis pas à étouffer l’affaire, il faudra vous tuer avant que l’acte d’accusation ne soit dressé, lui dit-il à l’oreille.

Victurnien était dans un tel état de stupeur, qu’il regarda le notaire sans le comprendre.

— Me tuer, répéta-t-il.

— Oui ? Si vous n’en aviez pas le courage, mon enfant, comptez sur moi, lui dit Chesnel en lui serrant la main.

Il resta, malgré la douleur que lui causait ce spectacle, planté sur ses deux jambes tremblantes, à regarder le fils de son cœur, le comte d’Esgrignon, l’héritier de cette grande maison, marchant entre les gendarmes, entre le commissaire de police de la ville, le juge de paix, et l’huissier du Parquet. Le vieillard ne recouvra sa résolution et sa présence d’esprit que quand cette troupe eut dis-