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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

déclarer sa position, il resta sous les armes de sa fausse opulence. Il fut d’ailleurs si complimenté de sa tenue, si heureux de son premier succès, qu’une honte éprouvée par bien des jeunes gens, la honte d’abdiquer, lui conseilla de garder son attitude. Il prit un petit appartement dans la rue du Bac, avec une écurie, une remise et tous les accompagnements de la vie élégante à laquelle il se trouva tout d’abord condamné.

Cette mise en scène exigea cinquante mille francs, et le jeune comte les obtint contre toutes les prévisions du sage Chesnel, par un concours de circonstances imprévues. La lettre de Chesnel arriva bien à l’Etude de son ami ; mais son ami était décédé. En voyant une lettre d’affaires, madame Sorbier, veuve très-peu poétique, la remit au successeur du défunt. Maître Cardot, le nouveau notaire, dit au jeune comte que le mandat sur le Trésor serait nul, s’il était à l’ordre de son prédécesseur. En réponse à l’épître si longuement méditée par le vieux notaire de province, Maître Cardot écrivit une lettre quatre lignes, pour toucher, non pas Chesnel, mais la somme. Chesnel fit le mandat au nom du jeune notaire qui, peu susceptible d’épouser la sentimentalité de son correspondant et enchanté de se mettre aux ordres du comte d’Esgrignon, donna tout ce que lui demandait Victurnien. Ceux qui connaissent la vie de Paris savent qu’il ne faut pas beaucoup de meubles, de voitures, de chevaux et d’élégance pour employer cinquante mille francs ; mais ils doivent considérer que Victurnien eut immédiatement pour une vingtaine de mille francs de dettes chez ses fournisseurs, qui d’abord ne voulurent pas de son argent ; sa fortune étant assez promptement grossie par l’opinion publique et par Joséphin, espèce de Chesnel en livrée.

Un mois après son arrivée, Victurnien fut obligé d’aller reprendre une dizaine de mille francs chez son notaire. Il avait simplement joué au whist chez les ducs de Navarreins, de Chaulieu, de Lenoncourt, et au Cercle. Après avoir d’abord gagné quelques milliers de francs, il en eut bientôt perdu cinq ou six mille, et sentit la nécessité de se faire une bourse de jeu. Victurnien avait l’esprit qui plaît au monde et qui permet aux jeunes gens de grande famille de se mettre au niveau de toute élévation. Non-seulement il fut aussitôt admis comme un personnage dans la bande de la belle jeunesse ; mais encore il y fut envié. Quand il se vit l’objet de l’envie, il éprouva une satisfaction enivrante, peu faite pour lui inspi-