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LES RIVALITÉS : LA VIEILLE FILLE.

souvenir, et qui s’appliquaient sur un cuir noir verni. Le chevalier laissait voir deux chaînes de montre qui pendaient parallèlement de chacun de ses goussets, autre vestige des modes du dix-huitième siècle que les Incroyables n’avaient pas dédaigné sous le Directoire. Ce costume de transition qui unissait deux siècles l’un à l’autre, le chevalier le portait avec cette grâce de marquis dont le secret s’est perdu sur la scène française le jour où disparut Fleury, le dernier élève de Molé. Sa vie privée était en apparence ouverte à tous les regards, mais en réalité mystérieuse. Il occupait un logement modeste pour ne pas dire plus, situé rue du Cours, au deuxième étage d’une maison appartenant à madame Lardot, la blanchisseuse de fin la plus occupée de la ville. Cette circonstance expliquait la recherche excessive de son linge. Le malheur voulut qu’un jour Alençon pût croire que le chevalier ne se fût pas toujours comporté en gentilhomme, et qu’il eût secrètement épousé dans ses vieux jours une certaine Césarine, mère d’un enfant qui avait eu l’impertinence de venir sans être appelé.

— Il avait, dit alors un certain monsieur du Bousquier, donné sa main à celle qui lui avait pendant si long-temps prêté son fer.

Cette horrible calomnie chagrina d’autant plus les vieux jours du délicat gentilhomme, que la scène actuelle le montrera perdant une espérance long-temps caressée, et à laquelle il avait fait bien des sacrifices. Madame Lardot louait à monsieur le chevalier de Valois deux chambres au second étage de sa maison pour la modique somme de cent francs par an. Le digne gentilhomme, qui dînait en ville tous les jours ne rentrait jamais que pour se coucher. Sa seule dépense était donc son déjeuner, invariablement composé d’une tasse de chocolat, accompagnée de beurre et de fruits selon la saison. Il ne faisait de feu que par les hivers les plus rudes, et seulement pendant le temps de son lever. Entre onze heures et quatre heures, il se promenait, allait lire les journaux et faisait des visites. Dès son établissement à Alençon il avait noblement avoué sa misère, en disant que sa fortune consistait en six cents livres de rente viagère, seul débris qui lui restât de son ancienne opulence et que lui faisait passer par quartier son ancien homme d’affaires chez lequel était le titre de constitution. En effet, un banquier de la ville lui comptait, tous les trois mois, cent cinquante livres envoyées par un monsieur Bordin de Paris. Chacun sut ces détails à cause du profond secret que demanda le chevalier