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LES RIVALITÉS: LE CABINET DES ANTIQUES.

Le Chevalier regarda le père au désespoir et n’osa lui répondre : — Nous serons forcés de les bien élever…

— Et vous ne m’avez rien dit de cela, mademoiselle d’Esgrignon, reprit le marquis en interpellant sa sœur.

Ces paroles dénotaient toujours une irritation, il l’appelait ordinairement ma sœur.

— Mais, monsieur, quand un jeune homme vif et bouillant reste oisif dans une ville comme celle-ci, que voulez-vous qu’il fasse ? dit mademoiselle d’Esgrignon qui ne comprenait pas la colère de son frère.

— Hé ! diantre, des dettes, reprit le Chevalier, il joue, il a de petites aventures, il chasse, tout cela coûte horriblement aujourd’hui.

— Allons, reprit le marquis, il est temps de l’envoyer au Roi. Je passerai la matinée demain à écrire à nos parents.

— Je connais quelque peu les ducs de Navarreins, de Lenoncourt, de Maufrigneuse, de Chaulieu, dit le Chevalier qui se savait cependant bien oublié.

— Mon cher Chevalier, il n’est pas besoin de tant de façons pour présenter un d’Esgrignon à la Cour, dit le marquis en l’interrompant. Cent mille livres, se dit-il, ce Chesnel est bien hardi. Voilà les effets de ces maudits Troubles. Mons Chesnel protége mon fils. Et il faut que je lui demande… Non, ma sœur, vous ferez cette affaire. Chesnel prendra ses sûretés sur nos biens pour le tout. Puis lavez la tête à ce jeune étourdi, car il finirait par se ruiner.

Le Chevalier et mademoiselle d’Esgrignon trouvaient simples et naturelles ces paroles, si comiques pour tout autre qui les aurait entendues. Loin de là, ces deux personnages furent très-émus de l’expression presque douloureuse qui se peignit sur les traits du vieillard. En ce moment, monsieur d’Esgrignon était sous le poids de quelque prévision sinistre, il devinait presque son époque. Il alla s’asseoir sur une bergère, au coin du feu, oubliant Chesnel qui devait venir, et auquel il ne voulait rien demander.

Le marquis d’Esgrignon avait alors la physionomie que les imaginations un peu poétiques lui voudraient. Sa tête presque chauve avait encore des cheveux blancs soyeux, placés à l’arrière de la tête et retombant par mèches plates mais bouclées aux extrémités. Son beau front plein de noblesse, ce front que l’on admire dans la tête de Louis XV, dans celle de Beaumarchais et dans celle du ma-