leurs le chevalier de Valois rachetait ses têtes de nègre par tant d’autres grâces que la société devait se trouver suffisamment indemnisée. Il prenait vraiment beaucoup de peine pour cacher ses années et pour plaire à ses connaissances. Il faut signaler en première ligne le soin extrême qu’il apportait à son linge, la seule distinction que puissent avoir aujourd’hui dans le costume les gens comme il faut ; celui du chevalier était toujours d’une finesse et d’une blancheur aristocratiques. Quant à son habit, quoiqu’il fût d’une propreté remarquable, il était toujours usé mais sans taches ni plis. La conservation du vêtement tenait du prodige pour ceux qui remarquaient la fashionable indifférence du chevalier sur ce point ; il n’allait pas jusqu’à les râper avec du verre, recherche inventée par le prince de Galles ; mais monsieur de Valois mettait à suivre les rudiments de la haute élégance anglaise une fatuité personnelle qui ne pouvait guère être appréciée par les gens d’Alençon. Le monde ne doit-il pas des égards à ceux qui font tant de frais pour lui ? N’y a-t-il pas en ceci l’accomplissement du plus difficile précepte de l’Évangile qui ordonne de rendre le bien pour le mal ? Cette fraîcheur de toilette, ce soin seyaient bien aux yeux bleus, aux dents d’ivoire et à la blonde personne du chevalier. Seulement cet Adonis en retraite n’avait rien de mâle dans son air, et semblait employer le fard de la toilette pour cacher les ruines occasionnées par le service militaire de la galanterie. Pour tout dire, la voix produisait comme une antithèse dans la blonde délicatesse du chevalier. À moins de se ranger à l’opinion de quelques observateurs du cœur humain, et de penser que le chevalier avait la voix de son nez, son organe vous eût surpris par des sons amples et redondants. Sans posséder le volume des colossales basses-tailles, le timbre de cette voix plaisait par un médium étoffé semblable aux accents du cor anglais résistants, et doux, forts et veloutés. Le chevalier avait franchement répudié le costume ridicule que conservèrent quelques hommes monarchiques, et s’était franchement modernisé : il se montrait toujours vêtu d’un habit marron à boutons dorés, d’une culotte à demi juste en pout-de-soie et à boucles d’or, d’un gilet blanc sans broderie, d’une cravate serrée sans col de chemise, dernier vestige de l’ancienne toilette française auquel il avait d’autant moins su renoncer qu’il pouvait ainsi montrer son cou d’abbé commendataire. Ses souliers se recommandaient par des boucles d’or carrées, desquelles la génération actuelle n’a point
Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/16
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
4
II. LIVRE. SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.