Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 7.djvu/152

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
134
II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

qui fit tirer sur les ministres, les aurait cachés dans son hôtel, s’ils y étaient venus le 29 juillet 1830. Benjamin Constant envoya son livre sur la religion au vicomte de Châteaubriand, en l’accompagnant d’une lettre flatteuse où il avoue avoir reçu quelque bien du ministre de Louis XVIII. À Paris, les hommes sont des systèmes, en Province les systèmes deviennent des hommes, et des hommes à passions incessantes, toujours en présence, s’épiant dans leur intérieur, épiloguant leurs discours, s’observant comme deux duellistes prêts à s’enfoncer six pouces de lame au côté à la moindre distraction, et tâchant de se donner des distractions, enfin occupés à leur haine comme des joueurs sans pitié. Les épigrammes, les calomnies y atteignent l’homme sous prétexte d’atteindre le parti. Dans cette guerre faite courtoisement et sans fiel au Cabinet des Antiques, mais poussée à l’hôtel du Croisier jusqu’à l’emploi des armes empoisonnées des Sauvages ; la fine raillerie, les avantages de l’esprit étaient du côté des nobles. Sachez-le bien : de toutes les blessures, celles que font la langue et l’œil, la moquerie et le dédain sont incurables. Le Chevalier, du moment où il se retrancha sur le Mont-Sacré de l’aristocratie, en abandonnant les salons mixtes, dirigea ses bons mots sur le salon de du Croisier, il attisa le feu de la guerre sans savoir jusqu’où l’esprit de vengeance pouvait mener le salon de du Croiser contre le Cabinet des Antiques. Il n’entrait que des purs à l’hôtel d’Esgrignon, de loyaux gentilshommes et des femmes sûres les unes des autres ; il ne s’y commettait aucune indiscrétion. Les discours, les idées bonnes ou mauvaises, justes ou fausses, belles ou ridicules, ne donnaient point prise à la plaisanterie. Les Libéraux devaient s’attaquer aux actions politiques pour ridiculiser les nobles ; tandis que les intermédiaires, les gens administratifs, tous ceux qui courtisaient ces hautes puissances, leur rapportaient sur le camp libéral des faits et des propos qui prêtaient beaucoup à rire. Cette infériorité vivement sentie redoublait encore chez les adhérents de du Croisier leur soif de vengeance. En 1822, du Croisier se mit à la tête de l’industrie du Département, comme le marquis d’Esgrignon fut à la tête de la noblesse. Chacun d’eux représenta donc un parti. Au lieu de se dire sans feintise homme de la Gauche pure, du Croisier avait ostensiblement adopté les opinions que formulèrent un jour les 221. Il pouvait ainsi réunir chez lui les magistrats, l’administration et la finance du Département. Le salon de du Croisier, puissance au moins égale à celle