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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

frère fût excellent pour elle, il la regardait toujours comme une étrangère, et ce mot la légitimait. Mais aussi sa réponse ne couronnait-elle pas admirablement la noble conduite qu’elle avait tenue depuis onze années, lorsque, à partir de sa majorité, chacune de ses actions fut marquée au coin du dévouement le plus pur ? Elle avait une sorte de culte pour son frère.

— Je mourrai mademoiselle d’Esgrignon, dit-elle simplement au notaire.

— Il n’y a point pour vous de plus beau titre, répondit Chesnel qui crut lui faire un compliment.

La pauvre fille rougit.

— Tu as dit une sottise, Chesnel, répliqua le vieux marquis tout à la fois flatté du mot de son ancien serviteur et peiné du chagrin qu’il causait à sa sœur. Une d’Esgrignon peut épouser un Montmorency : notre sang n’est pas aussi mêlé que l’a été le leur. Les d’Esgrignon portent d’or à deux bandes de gueules, et rien, depuis neuf cents ans, n’a changé dans leur écusson ; il est tel que le premier jour.

« Je ne me souviens pas d’avoir jamais rencontré de femme qui ait autant que mademoiselle d’Esgrignon frappé mon imagination, dit Blondet à qui la littérature contemporaine est, entre autres choses, redevable de cette histoire. J’étais à la vérité fort jeune, j’étais un enfant, et peut-être les images qu’elle a laissées dans ma mémoire doivent-elles la vivacité de leurs teintes à la disposition qui nous entraîne alors vers les choses merveilleuses. Quand je la voyais venant de loin sur le Cours où je jouais avec d’autres enfants, et qu’elle y amenait Victurnien, son neveu, j’éprouvais une émotion qui tenait beaucoup des sensations produites par le galvanisme sur les êtres morts. Quelque jeune que je fusse, je me sentais comme doué d’une nouvelle vie. Mademoiselle Armande avait les cheveux d’un blond fauve, ses joues étaient couvertes d’un très-fin duvet à reflets argentés que je me plaisais à voir en me mettant de manière que la coupe de sa figure fût illuminée par le jour, et je me laissais aller aux fascinations de ces yeux d’émeraude qui rêvaient et me jetaient du feu quand ils tombaient sur moi. Je feignais de me rouler sur l’herbe devant elle en jouant, mais je tâchais d’arriver à ses pieds mignons pour les admirer de plus près. La molle blancheur de son teint, la finesse de ses traits, la pureté des lignes de son front, l’élégance de sa taille mince me