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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Cormon allait beaucoup mieux, et que son médecin était venu ; mais elle devait rester au lit, il paraissait urgent de la saigner. Le salon fut bientôt plein. L’absence de mademoiselle Cormon permit aux dames de s’entretenir de la scène tragi-comique étendue, commentée, embellie, historiée, brodée, festonnée, coloriée, enjolivée qui venait d’avoir lieu et qui devait le lendemain occuper tout Alençon de mademoiselle Cormon.

— Ce bon monsieur du Bousquier, comme il vous portait ! Quelle poigne ! dit Josette à sa maîtresse. Vraiment, il était pâle de votre mal, il vous aime toujours.

Cette phrase servit de clôture à cette solennelle et terrible journée.

Le lendemain, pendant toute la matinée, les moindres circonstances de cette comédie couraient dans toutes les maisons d’Alençon, et, disons-le à la honte de cette ville, elles y causaient un rire universel. Le lendemain, mademoiselle Cormon, à qui la saignée avait fait beaucoup de bien, eût paru sublime aux plus intrépides rieurs s’ils avaient été témoins de la dignité noble, de la magnifique résignation chrétienne qui l’anima quand elle donna le bras à son mystificateur involontaire pour aller déjeuner. Cruels farceurs qui la plaisantiez, pourquoi ne la vîtes-vous pas disant au vicomte : — Madame de Troisville trouvera difficilement ici un appartement qui lui convienne ; faites-moi la grâce, monsieur, d’accepter ma maison pendant tout le temps que vous serez à vous en arranger une en ville.

— Mais, mademoiselle, j’ai deux filles et deux garçons, nous vous gênerions beaucoup.

— Ne me refusez pas, dit-elle avec un regard plein d’attrition.

— Je vous l’offrais dans la réponse que je vous ai faite à tout hasard, dit l’abbé, mais vous ne l’avez pas reçue.

— Quoi, mon oncle, vous saviez…

La pauvre fille s’arrêta. Josette fit un soupir. Ni le vicomte de Troisville ni l’oncle ne s’aperçurent de rien. Après le déjeuner, l’abbé de Sponde emmena le vicomte, comme ils en étaient convenus la veille, pour lui montrer dans Alençon les maisons qu’il pouvait acquérir ou les emplacements convenables pour bâtir.

Restée seule au salon, mademoiselle Cormon dit à Josette d’un air lamentable : — Mon enfant, je suis à cette heure la fable de toute la ville.

— Eh ! bien, mademoiselle, mariez-vous !