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Sainct-Jean qui fauche, comme nous disons en Tourayne, advint des Egyptiacques, Bohémiens ou aultres troupes larronnesses qui firent ung vol de chouses sainctes à Saint-Martin, et au lieu et plasse de madame la Vierge, lairrèrent, et en guize d’insulte et mocquerie de nostre vraye foy, une infame iolie fille de l’aage d’ung vieulx chien, toute nue, histrionne et mauricaulde comme eulx. De ce forfaict sans nom, feut également conclud par les gens du Roy et ceux de l’Ecclise que la Moresse payeroyt pour le tout, seroyt arse et cuitte vifve au quarroy Sainct-Martin, prouche la fontaine, où est le marché aux Herbes. Lors, le bonhomme Bruyn apertement et dextrement demonstra, à l’encontre des aultres, que ce seroyt chouse prouffictable et bien plaisante à Dieu de conquester ceste ame affricquaine à la vraye religion ; et, si le diable logé en cettuy corps féminin faisoyt de l’entesté, que les fagotz ne fauldroyent point à le brusler comme disoyt ledict arrest. Ce que l’archevesque trouva saigement pensé, moult canonicque, conforme à la charité chrestienne et à l’Evangile. Les dames de la ville et aultres personnes d’authorité dirent à haulte voix que on les frustroyt d’une belle quérémonie, veu que la Moresse plouroyt sa vie eu la geole, clamoyt comme chievre liée, et se convertiroyt seurement à Dieu pour continuer à vivre autant qu’ung corbeau, s’il estoyt loisible à elle. À quoy le Senneschal respondit que, si l’estrangière vouloyt sainctement soy commettre en la religion chrestienne, il y auroyt une quérémonie bien aultrement guallante, et qu’il se iactoyt de la faire royalement magnificque, pour ce qu’il seroyt le parrain du baptesme, et que pucelle devroyt estre sa commère, à ceste fin de plaire davantaige à Dieu, veu que luy-mesme estoyt censé cocquebin. En nostre pays de Tourayne, ainsy dict-on des ieunes gars vierges, nom mariez ou estimez telz, affin de les distinguer emmi les espoux ou les veufs ; mais les garses sçavent bien les deviner sans le nom, pour ce qu’ils sont légiers et ioyeulx plus que tous aultres saupouldrez de mariaige.

La Moresque n’hezita point entre les fagotz du feu et l’eaue du baptesme. Elle aima davantaige estre chrestienne et vivante que bruslée Egyptiacque ; par ainsy, pour ne point estre boullue ung moment, elle dubt ardre de cueur pendant toute sa vie, veu que, pour plus grant fiance en sa religion, elle feut mise au moustier des nonnes prouche le Chardonneret, où elle fit vœu de saincteté. Ladicte quérémonie feut parachevée au logis de l’archevesque, où,