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n’estre point curieux, et ne les interroguoyt qu’après les avoir occiz. À ce mestier, moult agréable à Dieu, au Roy et à luy, Bruyn gaigna renom de bon chrestien, loyal chevalier, et s’amuza beaucoup en pays d’oultre-mer, veu qu’il donnoyt plus voulentiers un escu aux garses que six deniers à ung paouvre, quoiqu’il rencontrast plus de beaulx paouvres que de parfaictes cornmères ; mais en bon Tourangeaud il faisoyt soupe de tout pain. Finablement, quand il feut saoul de Turcques, de relicques et aultres bénéfices de Terre-Saincte, Bruyn, au grand estonnement des Vouvrillons, rattourna de la Croisade, encumbré d’escuz et pierreries ; au rebours d’aulcuns qui, de riches au despart, revindrent lourds de leppres et légiers d’argent. Au rettourner de Tuniz, nostre seigneur le roy Philippe le nomma comte, et le fit son Senneschal en nostre pays et en celuy de Poictou. Lors il feut aimé grantement, et à bon escient considéré, veu qu’oultre toutes ses belles qualitez il funda l’ecclise des Carmes-Deschaulx en la paroisse de l’Esgrignolles, par manière d’acquit envers le ciel, en raison des desportemens de sa ieunesse. Aussy feut-il cardinalement confict dans les bonnes graaces de l’Ecclise et de Dieu. De maulvais gars et homme de meschief, devint bon homme, saige et discretement paillard en perdant ses cheveulx. Rarement se choleroyt, à moins qu’on ne maugreast Dieu devant luy, ce qu’il ne toleroyt point, pour ce qu’il l’avoyt maugréé pour les aultres en sa folle ieunesse. Brief, il ne querelloyt plus, veu qu’estant senneschal, les gens luy ceddoyent incontinent. Vray dire aussy qu’il voyoyt lors ses dezirs accomplis ; ce qui rend, voire ung diableteau, otieulx et tranquille de la cervelle aux talons. Et doncques, il possedoyt ung chastel deschicqueté sur toutes les coutures, et tailladé comme ung pourpoinct hespaignol, assis sur ung cousteau d’où il se miroyt en Loyre ; dedans les salles, estoyent des tapisseries royalles, meubles et bobans, pompes et inventions sarrazines dont s’estomiroyent ceulx de Tours, et mesme l’archevesque et les clercs de Sainct-Martin, auxquels il bailla, en pur don, une bannière frangée d’or fin. À l’entour dudict chasteau, fourmilloyent de beaulx domaines, moulins, futayes avecques moissons de redevances de toutes sortes, si qu’il estoyt ung des forts bannerets de la province, et pouvoyt bien mener en guerre mille hommes au Roy nostre sire. En ses vieulx iours, si, par caz fortuit, son baillif, homme diligent à pendre, lui amenoyt ung paouvre paysan soubpçonné de quelque meschanterie, il disoyt en soub-