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chez-moi dans la commode un drap pour ensevelir le corps. On m’a bien dit que ce pauvre monsieur était simple ; mais je ne sais pas ce qu’il est, il est pis. C’est comme un nouveau-né, faudra lui entonner son manger…

Schmucke regardait les deux femmes et ce qu’elles faisaient, absolument comme un fou les aurait regardées. Brisé par la douleur, absorbé dans un état quasi cataleptique, il ne cessait de contempler la figure fascinatrice de Pons, dont les lignes s’épuraient par l’effet du repos absolu de la mort. Il espérait mourir, et tout lui était indifférent. La chambre eût été dévorée par un incendie, il n’aurait pas bougé.

— Il y a douze cent cinquante-six francs… lui dit la Sauvage.

Schmucke haussa les épaules. Lorsque la Sauvage voulut procéder à l’ensevelissement de Pons, et mesurer le drap sur le corps, afin de couper le linceul et le coudre, il y eut une lutte horrible entre elle et le pauvre Allemand. Schmucke ressembla tout à fait à un chien qui mord tous ceux qui veulent toucher au cadavre de son maître. La Sauvage impatientée saisit l’Allemand, le plaça sur un fauteuil et l’y maintint avec une force herculéenne.

— Allons, ma petite ! cousez le mort dans son linceul, dit-elle à madame Cantinet.

Une fois l’opération terminée, la Sauvage remit Schmucke à sa place, au pied du lit, et lui dit :

— Comprenez-vous ? il fallait bien trousser ce pauvre homme en mort.

Schmucke se mit à pleurer ; les deux femmes le laissèrent et allèrent prendre possession de la cuisine, où elles apportèrent à elles deux en peu d’instants toutes les choses nécessaires à la vie. Après avoir fait un premier mémoire de trois cent soixante francs, la Sauvage se mit à préparer un dîner pour quatre personnes, et quel dîner ! Il y avait le faisan des savetiers, une oie grasse, comme pièce de résistance, une omelette aux confitures, une salade de légumes, et le pot-au-feu sacramentel dont tous les ingrédients étaient en quantité tellement exagérée, que le bouillon ressemblait à de la gelée de viande. À neuf heures du soir, le prêtre envoyé par le vicaire pour veiller Schmucke, vint avec Cantinet, qui apporta quatre cierges et des flambeaux d’église. Le prêtre trouva Schmucke couché le long de son ami, dans le lit, et le tenant étroitement embrassé. Il fallut l’autorité de la religion pour obtenir de Schmucke