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— Il est arrivé, mon cher monsieur Fraisier, que, sous prétexte de me donner de bons conseils et de me diriger, vous m’avez fait perdre à jamais mes rentes et la confiance de ces messieurs…

Et elle se lança dans une de ces trombes de paroles auxquelles elle excellait.

— Ne dites pas de paroles oiseuses, s’écria sèchement Fraisier en arrêtant sa cliente. Au fait ! au fait ! et vivement

— Eh bien ! et voilà comment ça s’est fait.

Elle raconta la scène telle qu’elle venait de se passer.

— Je ne vous ai rien fait perdre, répondit Fraisier. Ces deux messieurs doutaient de votre probité, puisqu’ils vous ont tendu ce piège ; ils vous attendaient, ils vous épiaient !… Vous ne me dites pas tout… ajouta l’homme d’affaires en jetant un regard de tigre sur la portière.

— Moi ! vous cacher quelque chose !… après tout ce que nous avons fait ensemble !… dit-elle en frissonnant.

— Mais, ma chère, je n’ai rien commis de répréhensible ! dit Fraisier en manifestant ainsi l’intention de nier sa visite nocturne chez Pons.

La Cibot sentit ses cheveux lui brûler le crâne, et un froid glacial l’enveloppa.

— Comment ?… dit-elle hébétée.

— Voilà l’affaire criminelle toute trouvée !… Vous pouvez être accusée de soustraction de testament, répondit froidement Fraisier.

La Cibot fit un mouvement d’horreur.

— Rassurez-vous, je suis votre conseil, reprit-il. Je n’ai voulu que vous prouver combien il est facile, d’une manière ou d’une autre, de réaliser ce que je vous disais. Voyons ! qu’avez-vous fait pour que cet Allemand si naïf se soit caché dans la chambre à votre insu ?…

— Rien, c’est la scène de l’autre jour, quand j’ai soutenu à monsieur Pons qu’il avait eu la berlue. Depuis ce jour-là, ces deux messieurs ont changé du tout au tout à mon égard. Ainsi vous êtes la cause de tous mes malheurs, car si j’avais perdu de mon empire sur monsieur Pons, j’étais sûre de l’Allemand qui parlait déjà de m’épouser, ou de me prendre avec lui, c’est tout un !

Cette raison était si plausible, que Fraisier fut obligé de s’en contenter.

— Rassurez-vous, reprit-il, je vous ai promis des rentes, je tien-