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gereuse. La Cibot, malgré les recommandations du docteur, ne croyait pas, elle, femme du peuple sans expérience ni instruction, à ces tiraillements du système nerveux par le système humoristique. Les explications de monsieur Poulain étaient pour elle des idées de médecin. Elle voulait absolument, comme tous les gens du peuple, nourrir Pons, et pour l’empêcher de lui donner en cachette du jambon, une bonne omelette ou du chocolat à la vanille, il ne fallait rien moins que cette parole absolue du docteur Poulain :

— Donnez une seule bouchée de n’importe quoi à monsieur Pons, et vous le tueriez comme d’un coup de pistolet.

L’entêtement des classes populaires est si grand à cet égard, que la répugnance des malades pour aller à l’hôpital vient de ce que le peuple croit qu’on y tue les gens en ne leur donnant pas à manger. La mortalité qu’ont causée les vivres apportés en secret par les femmes à leurs maris a été si grande, qu’elle a déterminé les médecins à prescrire une visite de corps d’une excessive sévérité les jours où les parents viennent voir les malades. La Cibot, pour arriver à une brouille momentanée nécessaire à la réalisation de ses bénéfices immédiats, raconta sa visite au directeur du théâtre, sans oublier sa prise de bec avec mademoiselle Héloïse, la danseuse.

— Mais qu’alliez-vous faire là ? lui demanda pour la troisième fois le malade qui ne pouvait arrêter la Cibot une fois qu’elle était lancée en paroles.

— Pour lors, quand je lui ai eu dit son fait, mademoiselle Héloïse qu’a vu ce que j’étais, a mis les pouces, et nous avons été les meilleures amies du monde. — Vous me demandez maintenant ce que j’allais faire là ? dit-elle en répétant la question de Pons.

Certains bavards, et ceux-là sont des bavards de génie, ramassent ainsi les interpellations, les objections et les observations en manière de provision, pour alimenter leurs discours ; comme si la source en pouvait jamais tarir.

— Mais j’y suis allée pour tirer votre monsieur Gaudissard d’embarras, il a besoin d’une musique pour un ballet, et vous n’êtes guère en état, mon chéri, de gribouiller du papier et de remplir votre devoir… J’ai donc entendu, comme ça, qu’on appellerait un monsieur Garangeot pour arranger les Mohicans en musique…

— Garangeot ! s’écria Pons en fureur. Garangeot, un homme sans aucun talent, je n’ai pas voulu de lui pour premier violon ! C’est un homme de beaucoup d’esprit, qui fait très bien des feuil-