Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/567

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

site à madame Cibot, Fraisier se proposait d’aller essayer son habit, son gilet et son pantalon. Il trouva ses habillements prêts et finis. Il revint chez lui, mit une perruque neuve, et partit en cabriolet de remise sur les dix heures du matin pour la rue de Hanovre, où il espérait pouvoir obtenir une audience de la présidente. Fraisier, en cravate blanche, en gants jaunes, en perruque neuve, parfumé d’eau de Portugal, ressemblait à ces poisons mis dans du cristal et bouchés d’une peau blanche dont l’étiquette, et tout jusqu’au fil, est coquet, mais qui n’en paraissent que plus dangereux. Son air tranchant, sa figure bourgeonnée, sa maladie cutanée, ses yeux verts, sa saveur de méchanceté, frappaient comme des nuages sur un ciel bleu. Dans son cabinet, tel qu’il s’était montré aux yeux de la Cibot, c’était le vulgaire couteau avec lequel un assassin a commis un crime ; mais à la porte de la présidente, c’était le poignard élégant qu’une jeune femme met dans son petit-dunkerque.

Un grand changement avait eu lieu rue de Hanovre. Le vicomte et la vicomtesse Popinot, l’ancien ministre et sa femme n’avaient pas voulu que le président et la présidente allassent se mettre à loyer, et quittassent la maison qu’ils donnaient en dot à leur fille. Le président et sa femme s’installèrent donc au second étage, devenu libre par la retraite de la vieille dame qui voulait aller finir ses jours à la campagne. Madame Camusot, qui garda Madeleine Vivet, sa cuisinière et son domestique, en était revenue à la gêne de son point de départ, gêne adoucie par un appartement de quatre mille francs sans loyer, et par un traitement de dix mille francs. Cette aurea mediocritas satisfaisait déjà peu madame de Marville, qui voulait une fortune en harmonie avec son ambition ; mais la cession de tous les biens à leur fille entraînait la suppression du cens d’éligibilité pour le président. Or, Amélie voulait faire un député de son mari, car elle ne renonçait pas à ses plans facilement, et elle ne désespérait point d’obtenir l’élection du président dans l’arrondissement où Marville est situé. Depuis deux mois elle tourmentait donc monsieur le baron Camusot, car le nouveau pair de France avait obtenu la dignité de baron, pour arracher de lui cent mille francs en avance d’hoirie, afin, disait-elle, d’acheter un petit domaine enclavé dans celui de Marville, et rapportant environ deux mille francs nets d’impôts. Elle et son mari seraient là, chez eux, et auprès de leurs enfants ; la terre de Marville en serait arrondie et augmentée d’autant. La présidente faisait valoir aux yeux