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souhaitant avoir la Cibot pour femme légitime. Cet amour, purement spéculatif, l’amena, dans les longues rêveries du fumeur, appuyé sur le pas de sa porte, à souhaiter la mort du petit tailleur. Il voyait ainsi ses capitaux presque triplés, il pensait quelle excellente commerçante serait la Cibot et quelle belle figure elle ferait dans un magnifique magasin sur le boulevard. Cette double convoitise grisait Rémonencq. Il louait une boutique au boulevard de la Madeleine, il l’emplissait des plus belles curiosités de la collection de défunt Pons. Après s’être couché dans des draps d’or et avoir vu des millions dans les spirales bleues de sa pipe, il se réveillait face à face avec le petit tailleur, qui balayait la cour, la porte et la rue au moment où l’Auvergnat ouvrait la devanture de sa boutique et disposait son étalage ; car depuis la maladie de Pons, Cibot remplaçait sa femme dans les fonctions qu’elle s’était attribuées. L’Auvergnat considérait donc ce petit tailleur olivâtre, cuivré, rabougri, comme le seul obstacle qui s’opposait à son bonheur, et il se demandait comment s’en débarrasser. Cette passion croissante rendait la Cibot très fière, car elle atteignait l’âge où les femmes commencent à comprendre qu’elles peuvent vieillir.

Un matin donc, la Cibot, à son lever, examina Rémonencq d’un air rêveur au moment où il arrangeait les bagatelles de son étalage, et voulut savoir jusqu’où pourrait aller son amour.

— Eh bien ! vint lui dire l’Auvergnat, les choses vont-elles comme vous le voulez ?

— C’est vous qui m’inquiétez, lui répondit la Cibot. Vous me compromettez, ajouta-t-elle, les voisins finiront par apercevoir vos yeux en manches de veste.

Elle quitta la porte et s’enfonça dans les profondeurs de la boutique de l’Auvergnat.

— En voilà une idée ! dit Rémonencq.

— Venez que je vous parle, dit la Cibot. Les héritiers de monsieur Pons vont se remuer, et ils sont capables de nous faire bien de la peine. Dieu sait ce qui nous arriverait s’ils envoyaient des gens d’affaires qui fourreraient leur nez partout, comme des chiens de chasse. Je ne peux décider monsieur Schmucke à vendre quelques tableaux, que si vous m’aimez assez pour en garder le secret… oh ! mais un secret ! que la tête sur le billot vous ne diriez rien… ni d’où viennent les tableaux, ni qui les a vendus. Vous comprenez, monsieur Pons, une fois mort et enterré, qu’on trouve cin-