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ploi vient-elle ?… dit la danseuse en jetant un de ces regards d’artiste à artiste qui devrait faire le sujet d’un tableau.

Héloïse, fille excessivement littéraire, en renom dans la Bohème, liée avec de grands artistes, élégante, fine, gracieuse, avait plus d’esprit que n’en ont ordinairement les premiers sujets de la danse ; en faisant sa question, elle respira dans une cassolette des parfums pénétrants.

— Madame, toutes les femmes se valent quand elles sont belles, et si je ne renifle pas la peste en flacon, et si je ne me mets pas de brique pilée sur les joues…

— Avec ce que la nature vous en a mis déjà, ça ferait un fier pléonasme, mon enfant ! dit Héloïse en jetant une œillade à son directeur.

— Je suis une honnête femme…

— Tant pis pour vous, dit Héloïse. N’est fichtre pas entretenue qui veut ! et je le suis, madame, et crânement bien !

— Comment, tant pis ! Vous avez beau avoir des Algériens sur le corps et faire votre tête, dit la Cibot, vous n’aurez jamais tant de déclarations que j’en ai reçu, médème ! Et vous ne vaudrez jamais la belle écaillère du Cadran-bleu…

La danseuse se leva subitement, se mit au port d’armes, et porta le revers de sa main droite à son front, comme un soldat qui salue son général.

— Quoi ! dit Gaudissard, vous seriez cette belle écaillère dont me parlait mon père ?

— Madame ne connaît alors ni la cachucha ni la polka ? Madame a cinquante ans passés ! dit Héloïse.

La danseuse se posa dramatiquement et déclama ce vers :

Soyons amis, Cinna !…

— Allons, Héloïse, madame n’est pas de force, laisse-la tranquille.

— Madame serait la nouvelle Héloïse ?… dit la portière avec une fausse ingénuité pleine de raillerie.

— Pas mal, la vieille ! s’écria Gaudissart.

— C’est archidit, reprit la danseuse, le calembour a des moustaches grises, trouvez-en un autre, la vieille… ou prenez une cigarette.