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et j’aurai bientôt fait, vous serez libre pour quinze jours. Vous vous coucherez à mon arrivée, et vous vous reposerez jusqu’à ce soir.

Cette proposition était si sage, que Schmucke y adhéra sur-le-champ.

Motus avec monsieur Pons ; car, vous savez, il se croirait perdu si nous lui disions comme ça qu’il va suspendre ses fonctions au théâtre et ses leçons. Le pauvre monsieur s’imaginerait qu’il ne retrouvera plus ses écolières… des bêtises… Monsieur Poulain dit que nous ne sauverons notre Benjamin qu’en le laissant dans le plus grand calme.

À pien ! pien ! vaides le técheuner, che fais vaire la lisde et vis tonner les attresses !… fis avez réson, che zugomprais !

Une heure après, la Cibot s’endimancha, partit en milord au grand étonnement de Rémonencq, et se promit de représenter dignement la femme de confiance des deux Casse-noisettes dans tous les pensionnats, chez toutes les personnes où se trouvaient les écolières des deux musiciens.

Il est inutile de rapporter les différents commérages, exécutés comme les variations d’un thème, auxquels la Cibot se livra chez les maîtresses de pension et au sein des familles, il suffira de la scène qui se passa dans le cabinet directorial de l’illustre Gaudissard, où la portière pénétra, non sans des difficultés inouïes. Les directeurs de spectacle, à Paris, sont mieux gardés que les rois et les ministres. La raison des fortes barrières qu’ils élèvent entre eux et le reste des mortels, est facile à comprendre : les rois n’ont à se défendre que contre les ambitions ; les directeurs de spectacle ont à redouter les amours-propres d’artiste et d’auteur.

La Cibot franchit toutes les distances par l’intimité subite qui s’établit entre elle et la concierge. Les portiers se reconnaissent entre eux, comme tous les gens de même profession. Chaque état a ses Shiboleth, comme il a son injure et ses stigmates.

— Ah ! madame, vous êtes la portière du théâtre, avait dit la Cibot. Moi, je ne suis qu’une pauvre concierge d’une maison de la rue de Normandie où loge monsieur Pons, votre chef d’orchestre. Oh ! comme je serais heureuse d’être à votre place, de voir passer les acteurs, les danseuses, les auteurs ! C’est, comme disait cet ancien acteur, le bâton de maréchal de notre métier.