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gien, et se donna pour son imitateur. Telles sont les audaces des débutants à Paris. Tout leur fait échelle pour monter sur le théâtre ; mais comme tout s’use, même les bâtons d’échelles, les débutants en chaque profession ne savent plus de quel bois se faire des marchepieds. Par certains moments, le Parisien est réfractaire au succès. Lassé d’élever des piédestaux, il boude comme les enfants gâtés et ne veut plus d’idoles ; ou pour être vrai, les gens de talent manquent parfois à ses engouements. La gangue d’où s’extrait le génie a ses lacunes ; le Parisien se regimbe alors, il ne veut pas toujours dorer ou adorer les médiocrités.

En entrant avec sa brusquerie habituelle, madame Cibot surprit le docteur à table avec sa vieille mère, mangeant une salade de mâches, la moins chère de toutes les salades, et n’ayant pour dessert qu’un angle aigu de fromage de Brie, entre une assiette peu garnie par les fruits dits les quatre mendiants, où se voyaient beaucoup de râpes de raisin, et une assiette de mauvaises pommes de bateau.

— Ma mère, vous pouvez rester, dit le médecin en retenant madame Poulain par le bras, c’est madame Cibot de qui je vous ai parlé.

— Mes respects, madame, mes devoirs, monsieur, dit la Cibot en acceptant la chaise que lui présenta le docteur. Ah ! c’est madame votre mère, elle est bien heureuse d’avoir un fils qui a tant de talent ; car c’est mon sauveur, madame, il m’a tiré de l’abîme…

La veuve Poulain trouva madame Cibot charmante, en l’entendant faire ainsi l’éloge de son fils.

— C’est donc pour vous dire, mon cher monsieur Poulain, entre nous, que le pauvre monsieur Pons va bien mal, et que j’ai à vous parler, rapport à lui…

— Passons au salon, dit le docteur Poulain en montrant la domestique à madame Cibot par un geste significatif.

Une fois au salon, la Cibot expliqua longuement sa position avec les deux Casse-noisettes, elle répéta l’histoire de son prêt en l’enjolivant, et raconta les immenses services qu’elle rendait depuis dix ans à messieurs Pons et Schmucke. À l’entendre, ces deux vieillards n’existeraient plus, sans ses soins maternels. Elle se posa comme un ange et dit tant et tant de mensonges arrosés de larmes, qu’elle finit par attendrir la vieille madame Poulain.

— Vous comprenez, mon cher monsieur, dit-elle en terminant,