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dre un parti violent, celui de l’émigration. Quitter la France est, pour un Français, une situation funèbre. Le docteur Poulain alla bien remercier le comte Popinot, mais, le médecin de l’homme d’État étant l’illustre Bianchon, le solliciteur comprit qu’il ne pouvait guère arriver dans cette maison-là. Le pauvre docteur, après s’être flatté d’obtenir la protection d’un des ministres influents, d’une des douze ou quinze cartes qu’une main puissante mêle depuis seize ans sur le tapis vert de la table du conseil, se trouva replongé dans le Marais où il pataugeait chez les pauvres, chez les petits bourgeois, et où il eut la charge de vérifier les décès, à raison de douze cents francs par an.

Le docteur Poulain, interne assez distingué, devenu praticien prudent, ne manquait pas d’expérience. D’ailleurs, ses morts ne faisaient pas scandale, et il pouvait étudier toutes les maladies in animâ vili. Jugez de quel fiel il se nourrissait ? Aussi, l’expression de sa figure, déjà longue et mélancolique, était-elle parfois effrayante. Mettez dans un parchemin jaune les yeux ardents de Tartufe et l’aigreur d’Alceste ; puis, figurez-vous la démarche, l’attitude, les regards de cet homme, qui, se trouvant tout aussi bon médecin que l’illustre Bianchon, se sentait maintenu dans une sphère obscure par une main de fer ? Le docteur Poulain ne pouvait s’empêcher de comparer ses recettes de dix francs dans les jours heureux, à celles de Bianchon, qui vont à cinq ou six cents francs ! N’est-ce pas à concevoir toutes les haines de la démocratie ? Cet ambitieux, refoulé, n’avait d’ailleurs rien à se reprocher. Il avait déjà tenté la fortune en inventant des pilules purgatives, semblables à celles de Morisson. Il avait confié cette exploitation à l’un de ses camarades d’hôpital, un interne devenu pharmacien ; mais le pharmacien, amoureux d’une figurante de l’Ambigu-Comique, s’était mis en faillite, et le brevet d’invention des pilules purgatives se trouvant pris à son nom, cette immense découverte avait enrichi le successeur. L’ancien interne était parti pour le Mexique, la patrie de l’or, en emportant mille francs d’économies au pauvre Poulain, qui, pour fiche de consolation, fut traité d’usurier par la figurante à laquelle il vint redemander son argent. Depuis la bonne fortune de la guérison du vieux Pillerault, pas un seul client riche ne s’était présenté. Poulain courait tout le Marais, à pied, comme un chat maigre, et sur vingt visites, en obtenait deux à quarante sous. Le client qui payait bien était, pour lui, cet oiseau fantasti-