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français, chantait le rôle d’Alice. Cette pantomime n’échappa point au baron qui regarda fixement sa femme. Adeline baissa les yeux, sortit dans le jardin, et il l’y suivit.

— Voyons, qu’y a-t-il, Adeline ? dit-il en la prenant par la taille, l’attirant à lui et la pressant. Ne sais-tu pas que je t’aime plus que…

— Plus que Jenny Cadine et que Josépha ? répondit-elle avec hardiesse et en l’interrompant.

— Et qui t’a dit cela ? demanda le baron qui lâchant sa femme recula de deux pas.

— On m’a écrit une lettre anonyme que j’ai brûlée, et où l’on me disait, mon ami, que le mariage d’Hortense a manqué par suite de la gêne où nous sommes. Ta femme, mon cher Hector, n’aurait jamais dit une parole, elle a su tes liaisons avec Jenny Cadine, s’est-elle jamais plainte ? Mais la mère d’Hortense te doit la vérité…

Hulot, après un moment de silence terrible pour sa femme dont les battements de cœur s’entendaient, se décroisa les bras, la saisit, la pressa sur son cœur, l’embrassa sur le front et lui dit avec cette force exaltée que prête l’enthousiasme :  — Adeline, tu es un ange, et je suis un misérable…

— Non ! non, répondit la baronne en lui mettant brusquement sa main sur les lèvres pour l’empêcher de dire du mal de lui-même.

— Oui, je n’ai pas un sou dans ce moment à donner à Hortense, et je suis bien malheureux ; mais puisque tu m’ouvres ainsi ton cœur, j’y puis verser des chagrins qui m’étouffaient… Si ton oncle Fischer est dans l’embarras, c’est moi qui l’y ai mis, il m’a souscrit pour vingt-cinq mille francs de lettres de change ! Et tout cela pour une femme qui me trompe, qui se moque de moi quand je ne suis pas là, qui m’appelle un vieux chat teint ! oh !… c’est affreux qu’un vice coûte plus cher à satisfaire qu’une famille à nourrir !… Et c’est irrésistible… Je te promettrais à l’instant de ne jamais retourner chez cette abominable israélite, si elle m’écrit deux lignes, j’irais, comme on allait au feu sous l’Empereur.

— Ne te tourmente pas, Hector, dit la pauvre femme au désespoir et oubliant sa fille à la vue des larmes qui roulaient dans les yeux de son mari. Tiens ! j’ai mes diamants, sauve avant tout mon oncle !

— Tes diamants valent à peine vingt mille francs, aujourd’hui.