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par les boulevards, en philosophant à perte de raison sur l’arrangement musical des choses en ce bas monde.

Le lendemain, Pons alla chez sa cousine la présidente, en proie à la joie profonde de rendre le bien pour le mal. Pauvre chère belle âme !… Certainement il atteignit au sublime, et tout le monde en conviendra, car nous sommes dans un siècle où l’on donne le prix Montyon à ceux qui font leur devoir, en suivant les préceptes de l’Évangile. — Ah ! ils auront d’immenses obligations à leur pique-assiette, se disait-il en tournant la rue de Choiseul.

Un homme moins absorbé que Pons dans son contentement, un homme du monde, un homme défiant eût observé la présidente et sa fille en revenant dans cette maison ; mais ce pauvre musicien était un enfant, un artiste plein de naïveté, ne croyant qu’au bien moral comme il croyait au beau dans les arts ; il fut enchanté des caresses que lui firent Cécile et la présidente. Ce bonhomme qui, depuis douze ans, voyait jouer le vaudeville, le drame et la comédie sous ses yeux, ne reconnut pas les grimaces de la comédie sociale sur lesquelles sans doute il était blasé. Ceux qui hantent le monde parisien et qui ont compris la sécheresse d’âme et de corps de la présidente, ardente seulement aux honneurs et enragée d’être vertueuse, sa fausse dévotion et la hauteur de caractère d’une femme habituée à commander chez elle, peuvent imaginer quelle haine cachée elle portait au cousin de son mari, depuis le tort qu’elle s’était donné. Toutes les démonstrations de la présidente et de sa fille furent donc doublées d’un formidable désir de vengeance, évidemment ajournée. Pour la première fois de sa vie, Amélie avait eu tort vis-à-vis du mari qu’elle régentait. Enfin, elle devait se montrer affectueuse pour l’auteur de sa défaite !… Il n’y a d’analogue à cette situation que certaines hypocrisies qui durent des années dans le sacré collége des cardinaux ou dans les chapitres des chefs d’ordres religieux. À trois heures, au moment où le président revint du Palais, Pons avait à peine fini de raconter les incidents merveilleux de sa connaissance avec monsieur Frédéric Brunner, et le repas de la veille qui n’avait fini que le matin, et tout ce qui concernait ledit Frédéric Brunner. Cécile était allée droit au fait, en s’enquérant de la manière dont s’habillait Frédéric Brunner, de la taille, de la tournure, de la couleur des cheveux et des yeux, et lorsqu’elle eut conjecturé que Frédéric avait l’air distingué, elle admira la générosité de son caractère.