Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/456

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ne fut plus le même homme. Le vieillard triste, moribond, fit place au Pons satisfait, qui naguère apportait à la présidente l’éventail de la marquise de Pompadour. Mais Schmucke tomba dans des rêveries profondes sur ce phénomène sans le comprendre, car le stoïcisme vrai ne s’expliquera jamais la courtisanerie française. Pons était un vrai Français de l’Empire, en qui la galanterie du dernier siècle s’unissait au dévouement pour la femme, tant célébré dans les romances de Partant pour la Syrie, etc. Schmucke enterra son chagrin dans son cœur sous les fleurs de sa philosophie allemande ; mais en huit jours il devint jaune et madame Cibot usa d’artifices pour introduire le médecin du quartier auprès de Schmucke. Ce médecin craignit un ictère, et il laissa madame Cibot foudroyée par ce mot savant dont l’explication est jaunisse !

Pour la première fois peut-être, les deux amis allaient dîner ensemble en ville ; mais, pour Schmucke, c’était faire une excursion en Allemagne. En effet, Johann Graff, le maître de l’hôtel du Rhin, et sa fille Émilie, Wolfgang Graff, le tailleur et sa femme, Fritz Brunner et Wilhem Schwab étaient Allemands. Pons et le notaire se trouvaient les seuls Français admis au banquet. Les tailleurs qui possédaient un magnifique hôtel situé rue de Richelieu, entre la rue Neuve-des-Petits-Champs et la rue Villedot, avaient élevé leur nièce, dont le père craignit avec raison le contact des gens de toute espèce qui viennent dans un hôtel. Ces dignes tailleurs, qui aimaient cette enfant comme si c’eût été leur fille, donnaient le rez-de-chaussée au jeune ménage. Là devait s’établir la maison de Banque Brunner, Schwab et compagnie. Comme ces arrangements dataient d’un mois environ, temps voulu pour recueillir l’héritage dévolu à Brunner, auteur de toute cette félicité, l’appartement des futurs époux avait été richement mis à neuf et meublé par le fameux tailleur. Les bureaux de la maison de Banque étaient ménagés dans l’aile qui réunissait une magnifique maison de produit bâtie sur la rue à l’ancien hôtel sis entre cour et jardin.

En allant de la rue de Normandie à la rue de Richelieu, Pons obtint du distrait Schmucke les détails de cette nouvelle histoire de l’enfant prodigue, pour qui la Mort avait tué l’aubergiste gras. Pons, fraîchement réconcilié avec ses plus proches parents, fut aussitôt atteint du désir de marier Fritz Brunner avec Cécile de Marville. Le hasard voulut que le notaire des frères Graff fût pré-