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que j’aurais acheté, si je faisais collection de ces œuvres-là ; mais c’est inabordable ! un meuble de Riesener vaut de trois à quatre mille francs ! On commence à reconnaître à Paris que les fameux marqueteurs allemands et français des seizième, dix-septième et dix-huitième siècles ont composé de véritables tableaux en bois. Le mérite du collectionneur est de devancer la mode. Tenez ! d’ici à cinq ans, on payera à Paris les porcelaines de Frankenthal, que je collectionne depuis vingt ans, deux fois plus cher que la pâte tendre de Sèvres.

— Qu’est-ce que le Frankenthal ? dit Cécile.

— C’est le nom de la fabrique de porcelaines de l’Électeur Palatin ; elle est plus ancienne que notre manufacture de Sèvres, comme les fameux jardins de Heidelberg, ruinés par Turenne, ont eu le malheur d’exister avant ceux de Versailles. Sèvres a beaucoup copié Frankenthal… Les Allemands, il faut leur rendre cette justice, ont fait, avant nous, d’admirables choses en Saxe et dans le Palatinat.

La mère et la fille se regardaient comme si Pons leur eût parlé chinois, car on ne peut se figurer combien les Parisiens sont ignorants et exclusifs ; ils ne savent que ce qu’on leur apprend, quand ils veulent l’apprendre.

— Et à quoi reconnaissez-vous le Frankenthal ?

— Et la signature ! dit Pons avec feu. Tous ces ravissants chefs-d’œuvre sont signés. Le Frankenthal porte un C. et un T (Charles-Théodore) entrelacés et surmontés d’une couronne de prince. Le vieux Saxe a ses deux épées et le numéro d’ordre en or. Vincennes signait avec un cor. Vienne a un V fermé et barré. Berlin a deux barres. Mayence a la roue. Sèvres les deux LL, et la porcelaine à la reine un A qui veut dire Antoinette, surmonté de la couronne royale. Au dix-huitième siècle, tous les souverains de l’Europe ont rivalisé dans la fabrication de la porcelaine. On s’arrachait les ouvriers. Watteau dessinait des services pour la manufacture de Dresde, et ses œuvres ont acquis des prix fous. (Il faut s’y bien connaître, car, aujourd’hui, Dresde les répète et les recopie.) Alors on a fabriqué des choses admirables et qu’on ne refera plus…

— Ah bah !

— Oui, cousine ! on ne refera plus certaines marqueteries, certaines porcelaines, comme on ne refera plus des Raphaël, des Titien, ni des Rembrandt, ni des Van Eyck, ni des Cranach !… Tenez ! les Chinois sont bien habiles, bien adroits, eh bien ! ils