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pris la peine de perdre votre temps à courir chez les marchands ?…

— Vous ne voudriez pas de cet éventail, ma chère cousine, si vous deviez en donner la valeur, répliqua le pauvre homme offensé, car c’est un chef-d’œuvre de Watteau qui l’a peint des deux côtés ; mais soyez tranquille, ma cousine, je n’ai pas payé la centième partie du prix d’art.

Dire à un riche : « Vous êtes pauvre ! » c’est dire à l’archevêque de Grenade que ses homélies ne valent rien. Madame la présidente était beaucoup trop orgueilleuse de la position de son mari, de la possession de la terre de Marville, et de ses invitations aux bals de la cour, pour ne pas être atteinte au vif par une semblable observation, surtout partant d’un misérable musicien vis-à-vis de qui elle se posait en bienfaitrice.

— Ils sont donc bien bêtes les gens à qui vous achetez ces choses-là ?… dit vivement la présidente.

— On ne connaît pas à Paris de marchands bêtes, répliqua Pons presque sèchement.

— C’est alors vous qui avez beaucoup d’esprit, dit Cécile pour calmer le débat.

— Ma petite cousine, j’ai l’esprit de connaître Lancret, Pater, Watteau, Greuze ; mais j’avais surtout le désir de plaire à votre chère maman.

Ignorante et vaniteuse, madame de Marville ne voulait pas avoir l’air de recevoir la moindre chose de son pique-assiette, et son ignorance la servait admirablement, elle ne connaissait pas le nom de Watteau. Si quelque chose peut exprimer jusqu’où va l’amour-propre des collectionneurs, qui, certes, est un des plus vifs, car il rivalise avec l’amour-propre d’auteur, c’est l’audace que Pons venait d’avoir en tenant tête à sa cousine, pour la première fois depuis vingt ans. Stupéfait de sa hardiesse, Pons reprit une contenance pacifique en détaillant à Cécile les beautés de la fine sculpture des branches de ce merveilleux éventail. Mais, pour être dans tout le secret de la trépidation cordiale à laquelle le bonhomme était en proie, il est nécessaire de donner une légère esquisse de la présidente.

À quarante-six ans, madame de Marville, autrefois petite, blonde, grasse et fraîche, toujours petite, était devenue sèche. Son front busqué, sa bouche rentrée, que la jeunesse décorait jadis de teintes fines, changeaient alors son air, naturellement dédaigneux, en un