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si grand rôle dans le drame qui dénoua cette double existence, qu’il convient de réserver son portrait au moment de son entrée dans cette Scène.

Ce qui reste à dire sur le moral de ces deux êtres en est précisément le plus difficile à faire comprendre aux quatre-vingt-dix-neuf centièmes des lecteurs dans la quarante-septième année du dix-neuvième siècle, probablement à cause du prodigieux développement financier produit par l’établissement des chemins de fer. C’est peu de chose et c’est beaucoup. En effet, il s’agit de donner une idée de la délicatesse excessive de ces deux cœurs. Empruntons une image aux rails-ways, ne fût-ce que par façon de remboursement des emprunts qu’ils nous font. Aujourd’hui les convois en brûlant leurs rails y broient d’imperceptibles grains de sable. Introduisez ce grain de sable invisible pour les voyageurs dans leurs reins, ils ressentiront les douleurs de la plus affreuse maladie, la gravelle ; on en meurt. Eh bien ! ce qui, pour notre société lancée dans sa voie métallique avec une vitesse de locomotive, est le grain de sable invisible dont elle ne prend nul souci, ce grain incessamment jeté dans les fibres de ces deux êtres, et à tout propos, leur causait comme une gravelle au cœur. D’une excessive tendresse aux douleurs d’autrui, chacun d’eux pleurait de son impuissance ; et, pour leurs propres sensations, ils étaient d’une finesse de sensitive qui arrivait à la maladie. La vieillesse, les spectacles continuels du drame parisien, rien n’avait endurci ces deux âmes fraîches, enfantines et pures. Plus ces deux êtres allaient, plus vives étaient leurs souffrances intimes. Hélas ! il en est ainsi chez les natures chastes, chez les penseurs tranquilles et chez les vrais poètes qui ne sont tombés dans aucun excès.

Depuis la réunion de ces deux vieillards, leurs occupations, à peu près semblables, avaient pris cette allure fraternelle qui distingue à Paris les chevaux de fiacre. Levés vers les sept heures du matin en été comme en hiver, après leur déjeuner ils allaient donner leurs leçons dans les pensionnats où ils se suppléaient au besoin. Vers midi, Pons se rendait à son théâtre quand une répétition l’y appelait, et il donnait à la flânerie tous ses instants de liberté. Puis les deux amis se retrouvaient le soir au théâtre où Pons avait placé Schmucke. Voici comment.

Au moment où Pons rencontra Schmucke, il venait d’obtenir, sans l’avoir demandé, le bâton de maréchal des compositeurs in-