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sentiments où pouvait se trouver l’origine ou la réplique de cette phrase musicale. Schmucke, dont les économies étaient administrées par la distraction, Pons, prodigue par passion, arrivaient l’un et l’autre au même résultat : zéro dans la bourse à la Saint-Sylvestre de chaque année.

Sans cette amitié, Pons eût succombé peut-être à ses chagrins ; mais dès qu’il eut un cœur où décharger le sien, la vie devint supportable pour lui. La première fois qu’il exhala ses peines dans le cœur de Schmucke, le bon Allemand lui conseilla de vivre comme lui, de pain et de fromage, chez lui, plutôt que d’aller manger des dîners qu’on lui faisait payer si cher. Hélas ! Pons n’osa pas avouer à Schmucke que, chez lui, le cœur et l’estomac étaient ennemis, que l’estomac s’accommodait de ce qui faisait souffrir le cœur, et qu’il lui fallait à tout prix un bon dîner à déguster, comme à un homme galant une maîtresse à… lutiner. Avec le temps, Schmucke finit par comprendre Pons, car il était trop Allemand pour avoir la rapidité d’observation dont jouissent les Français, et il n’en aima que mieux le pauvre Pons. Rien ne fortifie l’amitié comme lorsque, de deux amis, l’un se croit supérieur à l’autre. Un ange n’aurait eu rien à dire en voyant Schmucke, quand il se frotta les mains au moment où il découvrit dans son ami l’intensité qu’avait prise la gourmandise. En effet, le lendemain le bon Allemand orna le déjeuner de friandises qu’il alla chercher lui-même, et il eut soin d’en avoir tous les jours de nouvelles pour son ami ; car depuis leur réunion ils déjeunaient tous les jours ensemble au logis.

Il ne faudrait pas connaître Paris pour imaginer que les deux amis eussent échappé à la raillerie parisienne, qui n’a jamais rien respecté. Schmucke et Pons, en mariant leurs richesses et leurs misères, avaient eu l’idée économique de loger ensemble, et ils supportaient également le loyer d’un appartement fort inégalement partagé, situé dans une tranquille maison de la tranquille rue de Normandie, au Marais. Comme ils sortaient souvent ensemble, qu’ils faisaient souvent les mêmes boulevards côte à côte, les flâneurs du quartier les avaient surnommés les deux casse-noisettes. Ce sobriquet dispense de donner ici le portrait de Schmucke, qui était à Pons ce que la nourrice de Niobé, la fameuse statue du Vatican, est à la Vénus de la Tribune.

Madame Cibot, la portière de cette maison, était le pivot sur lequel roulait le ménage des deux casse-noisettes ; mais elle joue un