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leurs maîtres justement frappés. L’infection était si grande que, malgré les fenêtres ouvertes et les plus puissants parfums, personne ne pouvait rester long-temps dans la chambre de Valérie. La Religion seule y veillait. Comment une femme, d’un esprit aussi supérieur que Valérie, ne se serait-elle pas demandé quel intérêt faisait rester là ces deux représentants de l’Église ? Aussi la mourante avait-elle écouté la voix du prêtre. Le repentir avait entamé cette âme perverse en proportion des ravages que la dévorante maladie faisait à la beauté. La délicate Valérie avait offert à la maladie beaucoup moins de résistance que Crevel, et elle devait mourir la première, ayant été d’ailleurs la première attaquée.

— Si je n’avais pas été malade, je serais venue te soigner, dit enfin Lisbeth après avoir échangé un regard avec les yeux abattus de son amie. Voici quinze ou vingt jours que je garde la chambre, mais en apprenant ta situation par le docteur, je suis accourue.

— Pauvre Lisbeth, tu m’aimes encore, toi ! je le vois, dit Valérie. Écoute ! je n’ai plus qu’un jour ou deux à penser, car je ne puis pas dire vivre. Tu le vois ? je n’ai plus de corps, je suis un tas de boue… On ne me permet pas de me regarder dans un miroir… Je n’ai que ce que je mérite. Ah ! je voudrais, pour être reçue à merci, réparer tout le mal que j’ai fait.

— Oh ! dit Lisbeth, si tu parles ainsi, tu es bien morte !

— N’empêchez pas cette femme de se repentir, laissez-la dans ses pensées chrétiennes, dit le prêtre.

— Plus rien ! se dit Lisbeth épouvantée. Je ne reconnais ni ses yeux, ni sa bouche ! Il ne reste pas un seul trait d’elle ! Et l’esprit a déménagé ! Oh ! c’est effrayant !…

— Tu ne sais pas, reprit Valérie, ce que c’est que la mort, ce que c’est que de penser forcément au lendemain de son dernier jour, à ce que l’on doit trouver dans le cercueil : des vers pour le corps, mais quoi pour l’âme ?… Ah ! Lisbeth, je sens qu’il y a une autre vie !… et je suis toute à une terreur qui m’empêche de sentir les douleurs de ma chair décomposée !… Moi qui disais en riant à Crevel, en me moquant d’une sainte, que la vengeance de Dieu prenait toutes les formes du malheur… Eh bien ! j’étais prophète !… Ne joue pas avec les choses sacrées, Lisbeth ! Si tu m’aimes, imite-moi, repens-toi !

— Moi ! dit la Lorraine, j’ai vu la vengeance partout dans la nature, les insectes périssent pour satisfaire le besoin de se venger