Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/327

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Josépha qui finit par sourire. Ce fut entre ces deux femmes un jeu muet d’une horrible éloquence.

— Voici deux ans et demi que monsieur Hulot a quitté sa famille, et j’ignore où il est, quoique je sache qu’il habite Paris, reprit la baronne d’une voix émue. Un rêve m’a donné l’idée, absurde peut-être, que vous avez dû vous intéresser à monsieur Hulot. Si vous pouviez me mettre à même de revoir monsieur Hulot, ah ! mademoiselle, je prierais Dieu pour vous, tous les jours, pendant le temps que je resterai sur cette terre…

Deux grosses larmes qui roulèrent dans les yeux de la cantatrice en annoncèrent la réponse.

— Madame, dit-elle avec l’accent d’une profonde humilité, je vous ai fait du mal sans vous connaître ; mais maintenant que j’ai le bonheur, en vous voyant, d’avoir entrevu la plus grande image de la Vertu sur la terre, croyez que je sens la portée de ma faute, j’en conçois un sincère repentir ; aussi, comptez que je suis capable de tout pour la réparer !…

Elle prit la main de la baronne, sans que la baronne eût pu s’opposer à ce mouvement, elle la baisa de la façon la plus respectueuse, et alla jusqu’à l’abaissement en pliant un genou. Puis elle se releva fière comme lorsqu’elle entrait en scène dans le rôle de Mathilde, et sonna.

— Allez, dit-elle à son valet de chambre, allez à cheval, et crevez-le s’il le faut, trouvez-moi la petite Bijou, rue Saint-Maur-du-Temple, amenez-la-moi, faites-la monter en voiture, et payez le cocher pour qu’il arrive au galop. Ne perdez pas une minute… ou je vous renvoie. — Madame, dit-elle en revenant à la baronne et lui parlant d’une voix pleine de respect, vous devez me pardonner. Aussitôt que j’ai eu le duc d’Hérouville pour protecteur, je vous ai renvoyé le baron, en apprenant qu’il ruinait pour moi sa famille. Que pouvais-je faire de plus ? Dans la carrière du théâtre, une protection nous est nécessaire à toutes au moment où nous y débutons. Nos appointements ne soldent pas la moitié de nos dépenses, nous nous donnons donc des maris temporaires… Je ne tenais pas à monsieur Hulot, qui m’a fait quitter un homme riche, une bête vaniteuse. Le père Crevel m’aurait certainement épousée…

— Il me l’a dit, fit la baronne en interrompant la cantatrice.