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nies par les soins à donner à leurs enfants, qu’elles surveillaient en commun, restaient et travaillaient donc ensemble au logis. Elles en étaient arrivées à penser tout haut, en offrant le touchant accord de deux sœurs, l’une heureuse, l’autre mélancolique. Belle, pleine de vie débordant, animée, rieuse et spirituelle, la sœur malheureuse semblait démentir sa situation réelle par son extérieur ; de même que la mélancolique, douce et calme, égale comme la raison, habituellement pensive et réfléchie, eût fait croire à des peines secrètes. Peut-être ce contraste contribuait-il à leur vive amitié. Ces deux femmes se prêtaient l’une à l’autre ce qui leur manquait. Assises dans un petit kiosque au milieu du jardinet que la truelle de la spéculation avait respecté par un caprice du constructeur, qui croyait conserver ces cent pieds carrés pour lui-même, elles jouissaient de ces premières pousses des lilas, fête printanière qui n’est savourée dans toute son étendue qu’à Paris, où, durant six mois, les Parisiens ont vécu dans l’oubli de la végétation, entre les falaises de pierre où s’agite leur océan humain.

— Célestine, disait Hortense en répondant à une observation de sa belle-sœur qui se plaignait de savoir son mari par un si beau temps à la Chambre, je trouve que tu n’apprécies pas assez ton bonheur. Victorin est un ange, et tu le tourmentes parfois.

— Ma chère, les hommes aiment à être tourmentés ! Certaines tracasseries sont une preuve d’affection. Si ta pauvre mère avait été non pas exigeante, mais toujours près de l’être, vous n’eussiez sans doute pas eu tant de malheurs à déplorer.

— Lisbeth ne revient pas ! Je vais chanter la chanson de Marlborough ! dit Hortense. Comme il me tarde d’avoir des nouvelles de Wenceslas… De quoi vit-il ? il n’a rien fait depuis deux ans.

— Victorin l’a, m’a-t-il dit, aperçu l’autre jour avec cette odieuse femme, et il suppose qu’elle l’entretient dans la paresse… Ah ! si tu voulais, chère sœur, tu pourrais encore ramener ton mari.

Hortense fit un signe de tête négatif.

— Crois-moi, ta situation deviendra bientôt intolérable, dit Célestine en continuant. Dans le premier moment, la colère et le désespoir, l’indignation t’ont prêté des forces. Les malheurs inouïs qui depuis ont accablé notre famille : deux morts, la ruine, la catastrophe du baron Hulot, ont occupé ton esprit et ton cœur ; mais, maintenant que tu vis dans le calme et le silence, tu ne supporteras