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mage qu’elle soit chez son vieux maréchal, aurions-nous ri ! Ah ! la vieille veut m’ôter le pain de la bouche !… je vais te la secouer, moi !

Obligé de prendre un appartement en harmonie avec la première dignité militaire, le maréchal Hulot s’était logé dans un magnifique hôtel, situé rue du Mont-Parnasse, où il se trouve deux ou trois maisons princières. Quoiqu’il eût loué tout l’hôtel, il n’en occupait que le rez-de-chaussée. Lorsque Lisbeth vint tenir la maison, elle voulut aussitôt sous-louer le premier étage qui, disait-elle, payerait toute la location, le comte serait alors logé pour presque rien ; mais le vieux soldat s’y refusa. Depuis quelques mois, le maréchal était travaillé par de tristes pensées. Il avait deviné la gêne de sa belle-sœur, il en soupçonnait les malheurs sans en pénétrer la cause. Ce vieillard, d’une sérénité si joyeuse, devenait taciturne, il pensait qu’un jour sa maison serait l’asile de la baronne Hulot et de sa fille, et il leur réservait ce premier étage. La médiocrité de fortune du comte de Forzheim était si connue, que le ministre de la guerre, le prince de Wissembourg, avait exigé de son vieux camarade qu’il acceptât une indemnité d’installation. Hulot employa cette indemnité à meubler le rez-de-chaussée, où tout était convenable, car il ne voulait pas, selon son expression, du bâton de maréchal pour le porter à pied. L’hôtel ayant appartenu sous l’Empire à un sénateur, les salons du rez-de-chaussée avaient été établis avec une grande magnificence, tous blanc et or, sculptés, et se trouvaient bien conservés. Le maréchal y avait mis de beaux vieux meubles analogues. Il gardait sous la remise une voiture, où sur les panneaux étaient peints les deux bâtons en sautoir, et il louait des chevaux quand il devait aller in fiocchi, soit au ministère, soit au château, dans une cérémonie ou à quelque fête. Ayant pour domestique, depuis trente ans, un ancien soldat âgé de soixante ans, dont la sœur était sa cuisinière, il pouvait économiser une dizaine de mille francs qu’il joignait à un petit trésor destiné à Hortense. Tous les jours le vieillard venait à pied de la rue du Mont-Parnasse à la rue Plumet par le boulevard ; chaque invalide, en le voyant venir, ne manquait jamais à se mettre en ligne, à le saluer, et le maréchal récompensait le vieux soldat par un sourire.

— Qu’est-ce que c’est que celui-là pour qui vous vous alignez ? disait un jour un jeune ouvrier à un vieux capitaine des Invalides.