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dit que, ce matin, elle m’a trouvée les larmes aux yeux et priant Dieu. Moi, voyez-vous, monsieur Crevel, je ne me moque point de la religion. M’avez-vous jamais entendue dire un mot de mal à ce sujet ?…

Crevel fit un geste d’approbation.

— Je défends qu’on en parle devant moi… Je blague sur tout ce qu’on voudra : les rois, la politique, la finance, tout ce qu’il y a de sacré pour le monde, les juges, le mariage, l’amour, les jeunes filles, les vieillards !… Mais l’Église… mais Dieu !… Oh ! là, moi, je m’arrête ! Je sais bien que je fais mal, que je vous sacrifie mon avenir… Et vous ne vous doutez pas de l’étendue de mon amour !

Crevel joignit les mains.

— Ah ! il faudrait pénétrer dans mon cœur, y mesurer l’étendue de mes convictions pour savoir tout ce que je vous sacrifie !… Je sens en moi l’étoffe d’une Madeleine. Aussi voyez de quel respect j’entoure les prêtres ! Comptez les présents que je fais à l’église ! Ma mère m’a élevée dans la foi catholique, et je comprends Dieu ! C’est à nous autres perverties qu’il parle le plus terriblement.

Valérie essuya deux larmes qui roulèrent sur ses joues. Crevel fut épouvanté, madame Marneffe se leva, s’exalta.

— Calme-toi, ma louloutte !… tu m’effraies !

Madame Marneffe tomba sur ses genoux.

— Mon Dieu ! je ne suis pas mauvaise ! dit-elle en joignant les mains. Daignez ramasser votre brebis égarée, frappez-la, meurtrissez-la, pour la reprendre aux mains qui la font infâme et adultère, elle se blottira joyeusement sur votre épaule ! elle reviendra tout heureuse au bercail !

Elle se leva, regarda Crevel, et Crevel eut peur des yeux blancs de Valérie.

— Et puis, Crevel, sais-tu ? Moi, j’ai peur, par moments… La justice de Dieu s’exerce aussi bien dans ce bas monde que dans l’autre. Qu’est-ce que je peux attendre de bon de Dieu ? Sa vengeance fond sur la coupable de toutes les manières, elle emprunte tous les caractères du malheur. Tous les malheurs que ne s’expliquent pas les imbéciles, sont des expiations. Voilà ce que me disait ma mère à son lit de mort en me parlant de sa vieillesse. Et si je te perdais !… ajouta-t-elle en saisissant Crevel par une étreinte d’une sauvage énergie… Ah ! j’en mourrais !