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j’ai en moi un peu de ta vie comme je crois avoir ton cœur, c’est à en mourir. Songe à notre petit Hector ! ne m’abandonne pas ; mais ne te déshonore pas pour Marneffe, ne cède pas à ses menaces ! Ah ! je t’aime comme je n’ai jamais aimé ! Je me suis rappelé tous les sacrifices que tu as faits pour ta Valérie, elle n’est pas et ne sera jamais ingrate : tu es, tu seras mon seul mari. Ne pense plus aux douze cents francs de rente que je te demande pour ce cher petit Hector qui viendra dans quelques mois… je ne veux plus rien te coûter. D’ailleurs, ma fortune sera toujours la tienne.

» Ah ! si tu m’aimais autant que je t’aime, mon Hector, tu prendrais ta retraite, nous laisserions là chacun nos familles, nos ennuis, nos entourages où il y a tant de haine, et nous irions vivre avec Lisbeth dans un joli pays, en Bretagne, où tu voudras. Là nous ne verrions personne, et nous serions heureux, loin de tout ce monde. Ta pension de retraite, et le peu que j’ai, en mon nom, nous suffira. Tu deviens jaloux, eh ! bien, tu verrais ta Valérie occupée uniquement de son Hector, et tu n’aurais jamais à faire ta grosse voix comme l’autre jour. Je n’aurai jamais qu’un enfant, ce sera le nôtre, sois-en bien sûr, mon vieux grognard aimé. Non, tu ne peux pas te figurer ma rage, car il faut savoir comment il m’a traitée, et les grossièretés qu’il a vomies sur ta Valérie ! ces mots-là saliraient ce papier ; mais une femme comme moi, la fille de Montcornet, n’aurait jamais dû dans toute sa vie en entendre un seul. Oh ! je t’aurais voulu là pour le punir par le spectacle de la passion insensée qui me prenait pour toi. Mon père aurait sabré ce misérable, moi je ne peux que ce que peut une femme : t’aimer avec frénésie ! Aussi, mon amour, dans l’état d’exaspération où je suis, m’est-il impossible de renoncer à te voir. Oui ! je veux te voir en secret, tous les jours ! Nous sommes ainsi, nous autres femmes : j’épouse ton ressentiment. De grâce, si tu m’aimes, ne le fais pas chef de bureau, qu’il crève sous-chef !… En ce moment, je n’ai plus la tête à moi, j’entends encore ses injures. Bette, qui voulait me quitter, a eu pitié de moi, elle reste pour quelques jours.

» Mon bon chéri, je ne sais encore que faire. Je ne vois que la fuite. J’ai toujours adoré la campagne, la Bretagne, le Languedoc, tout ce que tu voudras, pourvu que je puisse t’aimer en liberté. Pauvre chat, comme je te plains ! te voilà forcé de reve-