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— Te conseiller ? je ne sais rien, répondit Stidmann. Mais tu es aimé de ta femme, n’est-ce pas ? Eh bien ! elle croira tout. Dis-lui surtout que tu venais chez moi, pendant que j’allais chez toi ; tu sauveras toujours ainsi ta pose de ce matin. Adieu !

Au coin de la rue Hillerin-Bertin, Lisbeth avertie par Reine et qui courait après Steinbock, le rejoignit ; car elle craignait sa naïveté polonaise. Ne voulant pas être compromise, elle dit quelques mots à Wenceslas qui, dans sa joie, l’embrassa en pleine rue. Elle avait tendu sans doute à l’artiste une planche pour passer ce détroit de la vie conjugale.

À la vue de sa mère, arrivée en toute hâte, Hortense avait versé des torrents de larmes. Aussi, la crise nerveuse changea fort heureusement d’aspect.

— Trahie ! ma chère maman, lui dit-elle. Wenceslas, après m’avoir donné sa parole d’honneur de ne pas aller chez madame Marneffe, y a dîné hier, et n’est rentré qu’à une heure un quart du matin !… Si tu savais, la veille, nous avions eu, non pas une querelle, mais une explication. Je lui avais dit des choses si touchantes : « J’étais jalouse, une infidélité me ferait mourir ; j’étais ombrageuse, il devait respecter mes faiblesses, puisqu’elles venaient de mon amour pour lui, j’avais dans les veines autant du sang de mon père que du tien ; dans le premier moment d’une trahison, je serais folle à faire des folies, à me venger, à nous déshonorer tous, lui, son fils et moi ; qu’enfin je pourrais le tuer et me tuer après ! » etc. Et il y est allé, et il y est ! Cette femme a entrepris de nous désoler tous ! Hier, mon frère et Célestin se sont engagés pour retirer soixante-douze mille francs de lettres de change souscrites pour cette vaurienne… Oui, maman, on allait poursuivre mon père et le mettre en prison. Cette horrible femme n’a-t-elle pas assez de mon père et de tes larmes ! Pourquoi me prendre Wenceslas !… J’irai chez elle, je la poignarderai !

Madame Hulot, atteinte au cœur par l’affreuse confidence que dans sa rage Hortense lui faisait sans le savoir, dompta sa douleur par un de ces héroïques efforts dont sont capables les grandes mères, et elle prit la tête de sa fille sur son sein pour la couvrir de baisers.

— Attends Wenceslas, mon enfant, et tout s’expliquera. Le mal ne doit pas être aussi grand que tu le penses ! J’ai été trahie aussi, moi ! ma chère Hortense. Tu me trouves belle, je suis vertueuse, et je suis cependant abandonnée depuis vingt-trois ans, pour des