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exemple, quand ils ne sont pas chers, être au courant de la valeur des comestibles et en pressentir la hausse pour acheter en baisse, cet esprit de ménagère est, à Paris, le plus nécessaire à l’économie domestique. Comme Mathurine touchait de bons gages, qu’on l’accablait de cadeaux, elle aimait assez la maison pour être heureuse des bons marchés. Aussi depuis quelque temps rivalisait-elle avec Lisbeth, qui la trouvait assez formée, assez sûre, pour ne plus aller à la halle que les jours où Valérie avait du monde, ce qui, par parenthèse, arrivait assez souvent. Voici pourquoi. Le baron avait commencé par garder le plus strict décorum ; mais sa passion pour madame Marneffe était en peu de temps devenue si vive, si avide, qu’il désira la quitter le moins possible. Après y avoir dîné quatre fois par semaine, il trouva charmant d’y manger tous les jours. Six mois après le mariage de sa fille, il donna deux mille francs par mois à titre de pension. Madame Marneffe invitait les personnes que son cher baron désirait traiter. D’ailleurs, le dîner était toujours fait pour six personnes, le baron pouvait en amener trois à l’improviste. Lisbeth réalisa par son économie le problème extraordinaire d’entretenir splendidement cette table pour la somme de mille francs, et donner mille francs par mois à madame Marneffe. La toilette de Valérie étant payée largement par Crevel et par le baron, les deux amies trouvaient encore un billet de mille francs par mois sur cette dépense. Aussi cette femme si pure, si candide, possédait-elle alors environ cent cinquante mille francs d’économies. Elle avait accumulé ses rentes et ses bénéfices mensuels en les capitalisant et les grossissant de gains énormes dus à la générosité avec laquelle Crevel faisait participer le capital de sa petite duchesse au bonheur de ses opérations financières. Crevel avait initié Valérie à l’argot et aux spéculations de la Bourse ; et, comme toutes les Parisiennes, elle était promptement devenue plus forte que son maître. Lisbeth, qui ne dépensait pas un liard de ses douze cents francs, dont le loyer et la toilette étaient payés, qui ne sortait pas un sou de sa poche, possédait également un petit capital de cinq à six mille francs que Crevel lui faisait paternellement valoir.

L’amour du baron et celui de Crevel étaient néanmoins une rude charge pour Valérie. Le jour où le récit de ce drame recommence, excitée par l’un de ces événements qui font dans la vie l’office de la cloche aux coups de laquelle s’amassent les essaims, Valérie était