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linge du Chapitre, car elle avait l’honneur de blanchir Notre-Dame, qui n’était certes pas une mince pratique. Au premier étage étaient deux chambres qui, bon an mal an, se louaient aux étrangers à raison de quarante sous parisis pour chacune, prix exorbitant justifié d’ailleurs par le luxe que Tirechair avait mis dans leur ameublement. Des tapisseries de Flandre garnissaient les murailles ; un grand lit orné d’un tour en serge verte, semblable à ceux des paysans, était honorablement fourni de matelas et recouvert de bons draps en toile fine. Chaque réduit avait son chauffe-doux, espèce de poêle dont la description est inutile. Le plancher, soigneusement entretenu par les apprenties de la Tirechair, brillait comme le bois d’une châsse. Au lieu d’escabelles, les locataires avaient pour sièges de grandes chaires en noyer sculpté, provenues sans doute du pillage de quelque château. Deux bahuts incrustés en étain, une table à colonnes torses, complétaient un mobilier digne des chevaliers bannerets les mieux huppés que leurs affaires amenaient à Paris. Les vitraux de ces deux chambres donnaient sur la rivière. Par l’une, vous n’eussiez pu voir que les rives de la Seine et les trois îles désertes dont les deux premières ont été réunies plus tard et forment l’île Saint-Louis aujourd’hui, la troisième était l’île Louviers. Par l’autre, vous auriez aperçu à travers une échappée du port Saint-Landry, le quartier de la Grève, le pont Notre-Dame avec ses maisons, les hautes tours du Louvre récemment bâties par Philippe-Auguste, et qui dominaient ce Paris chétif et pauvre, lequel suggère à l’imagination des poètes modernes tant de fausses merveilles. Le bas de la maison à Tirechair, pour nous servir de l’expression alors en usage, se composait d’une grande chambre où travaillait sa femme, et par où les locataires étaient obligés de passer pour se rendre chez eux, en gravissant un escalier pareil à celui d’un moulin. Puis derrière, se trouvaient la cuisine et la chambre à coucher, qui avaient vue sur la Seine. Un petit jardin conquis sur les eaux étalait au pied de cette humble demeure ses carrés de choux verts, ses oignons et quelques pieds de rosiers défendus par des pieux formant une espèce de haie. Une cabane construite en bois et en boue servait de niche à un gros chien, le gardien nécessaire de cette maison isolée. À cette niche commençait une enceinte où criaient des poules dont les œufs se vendaient aux chanoines. Çà et là, sur le Terrain fangeux ou sec, suivant les caprices de l’atmosphère parisienne, s’é-