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maîtresse de Charles IX et à laquelle il fut chevaleresquement fidèle, était revenue depuis plus d’un mois du château de Fayet, en Dauphiné, où elle était allée faire ses couches. Elle amenait à Charles IX le seul fils qu’il ait eu, Charles de Valois, d’abord comte d’Auvergne, puis duc d’Angoulême. Outre le chagrin de voir sa rivale donner un fils au roi, tandis qu’elle n’avait eu qu’une fille, la pauvre reine éprouvait les humiliations d’un subit abandon. Pendant l’absence de sa maîtresse, le roi s’était rapproché de sa femme avec un emportement que l’histoire a mentionné comme une des causes de sa mort. Le retour de Marie Touchet apprenait donc à la dévote autrichienne combien le cœur avait eu peu de part dans l’amour de son mari. Ce n’était pas la seule déception que la jeune reine éprouvât en cette affaire ; jusqu’alors Catherine de Médicis lui avait paru son amie ; or, sa belle-mère, par politique, avait favorisé cette trahison, en aimant mieux servir la maîtresse que la femme du roi. Voici pourquoi.

Quand Charles IX avoua sa passion pour Marie Touchet, Catherine se montra favorable à cette jeune fille, par des motifs puisés dans l’intérêt de sa domination. Marie Touchet, jetée très-jeune à la cour, y arriva dans cette période de la vie où les beaux sentiments sont en fleur : elle adorait le roi pour lui-même. Effrayée de l’abîme où l’ambition avait précipité la duchesse de Valentinois, plus connue sous le nom de Diane de Poitiers, elle eut sans doute peur de la reine Catherine, et préféra le bonheur à l’éclat. Peut-être jugea-t-elle que deux amants aussi jeunes qu’elle et le roi ne pourraient lutter contre la reine-mère. D’ailleurs, Marie, fille unique de Jean Touchet, sieur de Beauvais et du Quillard, conseiller du roi et lieutenant au bailliage d’Orléans, placée entre la bourgeoisie et l’infime noblesse, n’était ni tout à fait noble, ni tout à fait bourgeoise, et devait ignorer les fins de l’ambition innée des Pisseleu, des Saint-Vallier, illustres filles qui combattaient pour leurs maisons avec les armes secrètes de l’amour. Marie Touchet, seule et sans famille, évitait à Catherine de Médicis de rencontrer dans la maîtresse de son fils, une fille de grande maison qui se serait posée comme sa rivale. Jean Touchet, un des beaux esprits du temps et à qui quelques poètes firent des dédicaces, ne voulut rien être à la cour. Marie, jeune fille sans entourage, aussi spirituelle et instruite qu’elle était simple et naïve, de qui les désirs devaient être inoffensifs au pouvoir royal, convint beaucoup à la reine-mère, qui lui