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— Éclectique… lui dis-je en souriant, car il n’avait jamais pu se faire à ce nom philosophique.

— Je connais bien le mot !… reprit-il. Si donc vous voulez obéir à votre vœu d’électisme, il faut que vous exprimiez au sujet de l’amour quelques idées viriles que je vais vous communiquer, et je ne vous en disputerai pas le mérite, si mérite il y a ; car je veux vous léguer de mon bien, mais ce sera tout ce que vous en aurez.

— Il n’y a pas de fortune pécuniaire qui vaille une fortune d’idées, quand elles sont bonnes toutefois ! Ainsi je vous écoute avec reconnaissance.

— L’amour n’existe pas, reprit le vieillard en me regardant. Ce n’est pas même un sentiment, c’est une nécessité malheureuse qui tient le milieu entre les besoins du corps et ceux de l’âme. Mais, en épousant pour un moment vos jeunes pensées, essayons de raisonner sur cette maladie sociale. Je crois que vous ne pouvez concevoir l’amour que comme un besoin ou comme un sentiment.

Je fis un signe d’affirmation.

— Considéré comme besoin, dit le vieillard, l’amour se fait sentir le dernier parmi tous les autres, et cesse le premier. Nous sommes amoureux à vingt ans (passez-moi les différences), et nous cessons de l’être à cinquante. Pendant ces vingt années, combien de fois le besoin se ferait-il sentir si nous n’étions pas provoqués par les mœurs incendiaires de nos villes, et par l’habitude que nous avons de vivre en présence, non pas d’une femme, mais des femmes ? Que devons-nous à la conservation de la race ? Peut-être autant d’enfants que nous avons de mamelles, parce que, si l’un meurt, l’autre vivra. Si ces deux enfants étaient toujours fidèlement obtenus, où iraient donc les nations ? Trente millions d’individus sont une population trop forte pour la France, puisque le sol ne suffit pas à sauver plus de dix millions d’êtres de la misère et de la faim. Songez que la Chine en est réduite à jeter ses enfants à l’eau, selon le rapport des voyageurs. Or, deux enfants à faire, voilà tout le mariage. Les plaisirs superflus sont non-seulement du libertinage, mais une perte immense pour l’homme, ainsi que je vous le démontrerai tout à l’heure. Comparez donc à cette pauvreté d’action et de durée l’exigence quotidienne et perpétuelle des autres conditions de notre existence ! La nature nous interroge à toute heure pour nos besoins réels ; et, tout au contraire, elle se refuse absolument