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n’étais pas vieux. La première femme jeune, belle et bien mise qui m’apparut, fit évanouir par le feu de son regard la sorcellerie dont j’étais volontairement victime. À peine avais-je fait quelques pas dans le jardin des Tuileries, endroit vers lequel je m’étais dirigé, que j’aperçus le prototype de la situation matrimoniale à laquelle ce livre est arrivé. J’aurais voulu caractériser, idéaliser ou personnifier le Mariage, tel que je le conçois, alors qu’il eût été impossible à la sainte Trinité même d’en créer un symbole si complet.

Figurez-vous une femme d’une cinquantaine d’années, vêtue d’une redingote de mérinos brun-rouge, tenant de sa main gauche un cordon vert noué au collier d’un joli petit griffon anglais, et donnant le bras droit à un homme en culotte et en bas de soie noirs, ayant sur la tête un chapeau dont les bords se retroussaient capricieusement, et sous les deux côtés duquel s’échappaient les touffes neigeuses de deux ailes de pigeon. Une petite queue, à peu près grosse comme un tuyau de plume, se jouait sur une nuque jaunâtre assez grasse que le collet rabattu d’un habit râpé laissait à découvert. Ce couple marchait d’un pas d’ambassadeur ; et le mari, septuagénaire au moins, s’arrêtait complaisamment toutes les fois que le griffon faisait une gentillesse. Je m’empressai de devancer cette image vivante de ma Méditation, et je fus surpris au dernier point en reconnaissant le marquis de T… l’ami du comte de Nocé, qui depuis long-temps me devait la fin de l’histoire interrompue que j’ai rapportée dans la Théorie du lit. (Voir la Méditation XVII.)

— J’ai l’honneur, me dit-il, de vous présenter madame la marquise de T…

Je saluai profondément une dame au visage pâle et ridé ; son front était orné d’un tour dont les boucles plates et circulairement placées, loin de produire quelque illusion, ajoutaient un désenchantement de plus à toutes les rides qui la sillonnaient. Cette dame avait un peu de rouge et ressemblait assez à une vieille actrice de province.

— Je ne vois pas, monsieur, ce que vous pourrez dire contre un mariage comme le nôtre ? me dit le vieillard.

— Les lois romaines le défendent !… répondis-je en riant.

La marquise me jeta un regard qui marquait autant d’inquiétude que d’improbation, et qui semblait dire : — Est-ce que je serais arrivée à mon âge pour n’être qu’une concubine ?…

Nous allâmes nous asseoir sur un banc, dans le sombre bosquet