Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/608

Cette page n’a pas encore été corrigée

Mais par combien d’autres compensations non moins riches l’âme noble et généreuse d’un jeune célibataire ne sait-elle pas quelquefois racheter son pardon ! Je me souviens d’avoir été témoin d’une des plus magnifiques réparations que puisse offrir un amant au mari qu’il minotaurise.

Par une chaude soirée de l’été de 1817, je vis arriver, dans un des salons de Tortoni, un de ces deux cents jeunes gens que nous nommons avec tant de confiance nos amis, il était dans toute la splendeur de sa modestie. Une adorable femme mise avec un goût parfait, et qui venait de consentir à entrer dans un de ces frais boudoirs consacrés par la mode, était descendue d’une élégante calèche qui s’arrêta sur le boulevard, en empiétant aristocratiquement sur le terrain des promeneurs. Mon jeune célibataire apparut donnant le bras à sa souveraine, tandis que le mari suivait tenant par la main deux petits enfants jolis comme des amours. Les deux amants, plus lestes que le père de famille, étaient parvenus avant lui dans le cabinet indiqué par le glacier. En traversant la salle d’entrée, le mari heurta je ne sais quel dandy qui se formalisa d’être heurté. De là naquit une querelle qui en un instant devint sérieuse par l’aigreur des répliques respectives. Au moment où le dandy allait se permettre un geste indigne d’un homme qui se respecte, le célibataire était intervenu, il avait arrêté le bras du dandy, il l’avait surpris, confondu, atterré, il était superbe. Il accomplit l’acte que méditait l’agresseur en lui disant : — Monsieur ?… Ce — monsieur ?… est un des beaux discours que j’aie jamais entendus. Il semblait que le jeune célibataire s’exprimât ainsi : — Ce père de famille m’appartient, puisque je me suis emparé de son honneur, c’est à moi de le défendre. Je connais mon devoir, je suis son remplaçant et je me battrai pour lui. La jeune femme était sublime ! Pâle, éperdue, elle avait saisi le bras de son mari qui parlait toujours ; et, sans mot dire, elle l’entraîna dans la calèche, ainsi que ses enfants. C’était une de ces femmes du grand monde, qui savent toujours accorder la violence de leurs sentiments avec le bon ton.

— Oh ! monsieur Adolphe ! s’écria la jeune dame en voyant son ami remontant d’un air gai dans la calèche. — Ce n’est rien, madame, c’est un de mes amis, et nous nous sommes embrassés… Cependant le lendemain matin le courageux célibataire reçut un coup d’épée qui mit sa vie en danger, et le retint six mois au lit. Il fut l’objet des soins les plus touchants de la part des deux époux. Combien