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d’une campagne voisine. Mais madame de T… ne t’a donc pas mis dans toute la confidence ? Je lui en veux de ce défaut de confiance… Après ce que tu faisais pour nous !… — Mon cher ami, elle avait ses raisons ! Peut-être n’aurais-je pas si bien joué mon rôle. — Tout a-t-il été bien plaisant ? conte-moi les détails, conte donc… — Ah ! un moment. Je ne savais pas que ce fût une comédie, et bien que madame de T… m’ait mis dans la pièce… — Tu n’y avais pas un beau rôle. — Va, rassure-toi ; il n’y a pas de mauvais rôles pour les bons acteurs. — J’entends, tu t’en es bien tiré. — À merveille. — Et madame de T… — Adorable… Conçois-tu qu’on ait pu fixer cette femme-là ?… dit-il en s’arrêtant pour me regarder d’un air de triomphe. Oh ! qu’elle m’a donné de peine !… Mais j’ai amené son caractère au point que c’est peut-être la femme de Paris sur la fidélité de laquelle on puisse le mieux compter. — Tu as réussi… — Oh ! c’est mon talent à moi. Toute son inconstance n’était que frivolité, déréglement d’imagination. Il fallait s’emparer de cette âme-là. Mais aussi tu n’as pas d’idée de son attachement pour moi. Au fait, elle est charmante ?… — J’en conviens. — Eh ! bien, entre nous, je ne lui connais qu’un défaut. La nature, en lui donnant tout, lui a refusé cette flamme divine qui met le comble à tous ses bienfaits : elle fait tout naître, tout sentir et n’éprouve rien. C’est un marbre. — Il faut t’en croire, car je ne puis en juger. Mais sais-tu que tu connais cette femme-là comme si tu étais son mari ?… C’est à s’y tromper. Si je n’avais soupé hier avec le véritable… je te prendrais… — À propos, a-t-il été bien bon ? — Oh ! j’ai été reçu comme un chien.. — Je comprends. Rentrons, allons chez madame de T… ; il doit faire jour chez elle. — Mais décemment, il faudrait commencer par le mari ? lui dis-je. — Tu as raison. Mais allons chez toi, je veux remettre un peu de poudre. — Dis-moi donc, t’a-t-il bien pris pour un amant ? — Tu vas en juger par la réception, mais allons sur-le-champ chez lui. » Je voulais éviter de le mener à un appartement que je ne connaissais pas, et le hasard nous y conduisit. La porte, restée ouverte, laissa voir mon valet de chambre, dormant dans un fauteuil. Une bougie expirait auprès de lui. Il présenta étourdiment une robe de chambre au marquis. J’étais sur les épines ; mais le marquis était tellement disposé à s’abuser, qu’il ne vit en mon homme qu’un rêveur qui lui apprêtait à rire. Nous passâmes