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l’innocence de monsieur un tel et de la culpabilité du baron.

Nous avons observé, comme une des plus habiles manœuvres, celle d’une jeune femme entraînée par une irrésistible passion, qui avait accablé de sa haine celui qu’elle n’aimait pas, et qui prodiguait à son amant les marques imperceptibles de son amour. Au moment où son mari fut persuadé qu’elle aimait le sigisbeo et détestait le patito, elle se plaça elle-même avec le patito dans une situation dont le risque avait été calculé d’avance, et qui fit croire au mari et au célibataire exécré que son aversion et son amour étaient également feints. Quand elle eut plongé son mari dans cette incertitude, elle laissa tomber entre ses mains une lettre passionnée. Un soir, au milieu de l’admirable péripétie qu’elle avait mijotée, madame se jeta aux pieds de son époux, les arrosa de larmes, et sut accomplir le coup de théâtre à son profit. — Je vous estime et vous honore assez, s’écria-t-elle, pour n’avoir pas d’autre confident que vous-même. J’aime ! est-ce un sentiment que je puisse facilement dompter, Mais ce que je puis faire, c’est de vous l’avouer ; c’est de vous supplier de me protéger contre moi-même, de me sauver de moi. Soyez mon maître, et soyez-moi sévère ; arrachez-moi d’ici, éloignez celui qui a causé tout le mal, consolez-moi ; je l’oublierai, je le désire. Je ne veux pas vous trahir. Je vous demande humblement pardon de la perfidie que m’a suggérée l’amour. Oui, je vous avouerai que le sentiment que je feignais pour mon cousin était un piége tendu à votre perspicacité, je l’aime d’amitié, mais d’amour… Oh ! pardonnez-moi !… je ne puis aimer que… (Ici force sanglots.) Oh ! partons, quittons Paris. Elle pleurait ; ses cheveux étaient épars, sa toilette en désordre ; il était minuit, le mari pardonna. Le cousin parut désormais sans danger, et le Minotaure dévora une victime de plus.

Quels préceptes peut-on donner pour combattre de tels adversaires ? toute la diplomatie du congrès de Vienne est dans leurs têtes ; elles sont aussi fortes quand elles se livrent que quand elles échappent. Quel homme est assez souple pour déposer sa force et sa puissance, et pour suivre sa femme dans ce dédale ?

Plaider à chaque instant le faux pour savoir le vrai, le vrai pour découvrir le faux ; changer à l’improviste la batterie, et enclouer son canon au moment de faire feu ; monter avec l’ennemi sur une montagne, pour redescendre cinq minutes après dans la plaine ; l’accompagner dans ses détours aussi rapides, aussi embrouillés que