Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/527

Cette page n’a pas encore été corrigée

mort. — Eh ! monsieur, reprit-il d’une voix plus douce, vous êtes jeune, vous avez le cœur généreux ; faites un sacrifice au bonheur à venir de celle que vous aimez ? abandonnez-la, ne la revoyez jamais. Et s’il vous faut absolument quelqu’un de la famille, j’ai une jeune tante que personne n’a pu fixer ; elle est charmante, pleine d’esprit et riche, entreprenez sa conversion, et laissez en repos une femme vertueuse. Ce mélange de plaisanterie et de terreur, la fixité du regard et le son de voix profond du mari firent une incroyable impression sur l’amant. Il resta deux minutes interdit, comme les gens trop passionnés auxquels la violence d’un choc enlève toute présence d’esprit. Si Anna eut des amants (pure hypothèse), ce ne fut certes pas Adolphe.

Ce fait peut servir à vous faire comprendre que la correspondance est un poignard à deux tranchants qui profite autant à la défense du mari qu’à l’inconséquence de la femme. Vous favoriserez donc la correspondance, par la même raison que M. le préfet de police fait allumer soigneusement les réverbères de Paris.



§ III. — DES ESPIONS.


S’abaisser jusqu’à mendier des révélations auprès de ses gens, tomber plus bas qu’eux en leur payant une confidence, ce n’est pas un crime ; c’est peut-être une lâcheté, mais c’est assurément une sottise ; car rien ne vous garantit la probité d’un domestique qui trahit sa maîtresse ; et vous ne saurez jamais s’il est dans vos intérêts ou dans ceux de votre femme. Ce point sera donc une chose jugée sans retour.

La nature, cette bonne et tendre parente, a placé près d’une mère de famille les espions les plus sûrs et les plus fins, les plus véridiques et en même temps les plus discrets qu’il y ait au monde. Ils sont muets et ils parlent, ils voient tout et ne paraissent rien voir.

Un jour, un de mes amis me rencontre sur le boulevard ; il m’invite à dîner, et nous allons chez lui. La table était déjà servie, et la maîtresse du logis distribuait à ses deux filles des assiettes pleines d’un fumant potage. — « Voilà de mes premiers symptômes, » me dis je. Nous nous asseyons. Le premier mot du mari, qui n’y entendait pas finesse et qui ne parlait que par désœuvrement, fut de demander : — Est-il venu quelqu’un aujourd’hui ?… — Pas un chat ! lui répond sa femme sans le regarder. Je n’oublierai jamais